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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/465

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la domesticité sur les animaux qui y ont vécu quelque temps, que ceux même qui, comme les faisans, ont le penchant le plus invincible pour la liberté, ne peuvent y être rendus tout d’un coup et sans observer des gradations, de même qu’un bon estomac, affaibli par des aliments trop légers, ne peut s’accoutumer que peu à peu à une nourriture plus forte. Il faut d’abord transporter la boîte qui contient la couvée dans l’endroit où l’on veut les lâcher ; on aura soin de leur donner la nourriture qu’ils aiment le mieux, mais jamais dans le même endroit, et en en diminuant la quantité chaque jour, afin de les obliger à chercher eux-mêmes ce qui leur convient, et à faire connaissance avec la campagne : lorsqu’ils seront en état de trouver leur subsistance, ce sera le moment de leur donner la liberté et de les rendre à la nature ; ils deviendront bientôt aussi sauvages que ceux qui sont nés dans les bois, à cela près qu’ils conserveront une sorte d’affection pour les lieux où ils auront été bien traités dans leur premier âge.

L’homme, ayant réussi à forcer le naturel du faisan en l’accoutumant à se joindre à plusieurs femelles, a tenté de lui faire encore une nouvelle violence en l’obligeant de se mêler avec une espèce étrangère, et ses tentatives ont eu quelques succès ; mais ce n’a pas été sans beaucoup de soins et de précautions[1]. On a pris un jeune coq faisan qui ne s’était encore accouplé avec aucune faisane, on l’a renfermé dans un lieu étroit et faiblement éclairé par en haut ; on lui a choisi de jeunes poules dont le plumage approchait de celui de la faisane ; on a mis ces jeunes poules dans une case attenante à celle du coq faisan, et qui n’en était séparée que par une espèce de grille dont les mailles étaient assez grandes pour laisser passer la tête et le cou, mais non le corps de ces oiseaux ; on a ainsi accoutumé le coq faisan à voir ces poules et même à vivre avec elles, parce qu’on ne lui a donné de nourriture que dans leur case, joignant la grille de séparation ; lorsque la connaissance a été faite et qu’on a vu la saison de l’amour approcher, on a nourri ce jeune coq et ses poules de la manière la plus propre à les échauffer et à leur faire éprouver le besoin de se joindre, et, quand ce besoin a été bien marqué, on a ouvert la communication : il est arrivé quelquefois que le faisan, fidèle à sa nature, comme indigné de la mésalliance à laquelle on voulait le contraindre, a maltraité et même mis à mort les premières poules qu’on lui avait données ; s’il ne s’adoucissait point, on le domptait en lui touchant le bec avec un fer rouge d’une part, et de l’autre en excitant son tempérament par des fomentations appropriées ; enfin, le besoin de s’unir augmentant tous les jours, et la nature travaillant sans cesse contre elle-

  1. Jamais les faisans libres ne cochent les poules qu’ils rencontrent ; ce n’est pas que le coq ne fasse quelquefois des avances, mais la poule ne les souffre point. — C’est à M. Leroy, lieutenant des chasses de Versailles, que je dois cette observation et beaucoup d’autres que j’ai insérées dans cet article : il serait à souhaiter que, sur l’histoire de chaque oiseau, on eût à consulter quelqu’un qui eût autant de connaissances, de lumières et d’empressement à les communiquer.