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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/56

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toujours au même lieu, toutes les autres commodités que l’homme leur fournit, qui dispensent ces oiseaux des travaux, des soins et des inquiétudes que les autres ressentent et partagent en commun, et vous retrouverez chez eux les premiers effets du luxe et les maux de l’opulence, libertinage et paresse.

Au reste, dans ces oiseaux dont nous avons gâté les mœurs en les servant, comme dans ceux qui les ont conservées parce qu’ils sont forcés de travailler ensemble et de se servir eux-mêmes, le fonds de l’amour physique, c’est-à-dire l’étoffe, la substance qui produit cette sensation, et en réalise les effets, est bien plus grand que dans les animaux quadrupèdes. Un coq suffit aisément à douze ou quinze poules, et féconde par un seul acte tous les œufs que chacune peut produire en vingt jours[NdÉ 1] ; il pourrait donc absolument parlant devenir chaque jour père de trois cents enfants. Une bonne poule peut produire cent œufs dans une seule saison, depuis le printemps jusqu’en automne. Quelle différence de cette grande multiplication au petit produit de nos quadrupèdes les plus féconds ! Il semble que toute la nourriture qu’on fournit abondamment à ces oiseaux, se convertissant en liqueur séminale, ne serve qu’à leurs plaisirs, et tourne tout entière au profit de la propagation ; ce sont des espèces de machines que nous montons, que nous arrangeons nous-mêmes pour la multiplication : nous en augmentons prodigieusement le nombre en les tenant ensemble, en les nourrissant largement et en les dispensant de tout travail, de tous soins, de toute inquiétude pour les besoins de la vie ; car le coq et la poule sauvages ne produisent dans l’état naturel qu’autant que nos perdrix et nos cailles, et quoique de tous les oiseaux les gallinacés soient les plus féconds, leur produit se réduit à dix-huit ou vingt œufs, et leurs amours à une seule saison, lorsqu’ils sont dans l’état de nature : à la vérité, il pourrait y avoir deux saisons et deux pontes dans des climats plus heureux, comme l’on voit dans celui-ci plusieurs espèces d’oiseaux pondre deux et même trois fois dans un été, mais aussi le nombre des œufs est moins grand dans toutes ces espèces, et le temps de l’incubation est plus court dans quelques-unes. Ainsi, quoique les oiseaux soient en puissance bien plus prolifiques que les quadrupèdes, ils ne le sont pas beaucoup plus par l’effet : les pigeons, les tourterelles, etc., ne pondent que deux œufs ; les grands oiseaux de proie n’en pondent que trois ou quatre ; la plupart des autres oiseaux cinq ou six ; et il n’y a que les poules et les autres gallinacés, tels que le paon, le dindon, le faisan, les perdrix et les cailles, qui produisent en grand nombre[NdÉ 2].

  1. Ce chiffre est probablement beaucoup exagéré. On admet aujourd’hui que le mâle ne peut pas féconder en une fois plus de sept ou huit œufs. Cela tient non à ce que la quantité des spermatozoïdes est insuffisante, mais à ce que les œufs n’arrivent que les uns après les autres à l’état de maturité nécessaire pour que la fécondation puisse se produire.
  2. En règle générale, le nombre des œufs ou des petits d’un animal est proportionné à