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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/80

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Bonne-Espérance[1] dans ce continent ; mais il ne paraît pas qu’elle soit en Amérique, car, après avoir comparé les indications des voyageurs, j’ai présumé que l’oiseau qu’ils appellent l’aigle de l’Orénoque, qui a quelque rapport avec celui-ci par la variété de son plumage, est néanmoins un oiseau d’espèce différente[NdÉ 1]. Si ce petit aigle, qui est beaucoup plus docile, plus aisé à apprivoiser que les deux autres, et qui est aussi moins lourd sur le poing et moins dangereux pour son maître, se fût trouvé également courageux, on n’aurait pas manqué de s’en servir pour la chasse, mais il est aussi lâche que plaintif et criard. Un épervier bien dressé suffit pour le vaincre et l’abattre[2] : d’ailleurs on voit, par les témoignages de nos auteurs de fauconnerie, qu’on n’a jamais dressé, du moins en France, que les deux premières espèces d’aigles, savoir le grand aigle ou aigle fauve, et l’aigle brun ou noirâtre, qui est l’aigle commun. Pour les instruire, il faut les prendre jeunes, car un aigle adulte est non seulement indocile, mais indomptable ; il faut les nourrir avec la chair du gibier qu’on veut leur faire chasser. Leur éducation exige des soins encore plus assidus que celle des autres oiseaux de fauconnerie ; nous donnerons le précis de cet art à l’article du faucon. Je rapporterai seulement ici quelques particularités que l’on a observées sur les aigles, tant dans leur état de liberté que dans celui de captivité.

La femelle qui dans l’aigle, comme dans toutes les autres espèces d’oiseaux de proie, est plus grande que le mâle, et semble être aussi, dans l’état de liberté, plus hardie, plus courageuse et plus fine, ne paraît pas conserver ces dernières qualités dans l’état de captivité. On préfère d’élever des mâles pour la chasse, et l’on remarque qu’au printemps, lorsque commence la saison des amours, ils cherchent à s’enfuir pour trouver une femelle ; en sorte que si l’on veut les exercer à la chasse dans cette saison, on risque de les perdre, à moins qu’on ne prenne la précaution d’éteindre leurs désirs en les purgeant assez violemment ; on a aussi observé que quand l’aigle, en partant du poing, vole contre terre et s’élève ensuite en ligne droite, c’est signe qu’il médite sa fuite ; il faut alors le rap-

  1. On le trouve au cap de Bonne-Espérance, car il me paraît que c’est le même aigle que Kolbe appelle aigle canardière, qui se jette principalement sur les canards. Kolbe, part. iii, page 139.
  2. C’est à cette espèce d’aigle lâche qu’il faut rapporter le passage suivant. « Il y a aussi des aigles dans les montagnes voisines de Tauris (en Perse) ; j’en ai vu vendre un cinq sous par des paysans. Les gens de qualité volent cet oiseau avec l’épervier ; ce vol est tout à fait quelque chose de curieux et de fort admirable : la façon dont l’épervier abat l’aigle, c’est qu’il vole au-dessus fort haut, fond sur lui avec beaucoup de vitesse, lui enfonce les serres dans les flancs, et de ses ailes lui bat la tête en volant toujours : il arrive pourtant quelquefois que l’aigle et l’épervier tombent tous deux ensemble. » Voyage de Chardin. Londres, 1686, p. 292 et 293.
  1. Voyez ci-après l’article relatif à cet oiseau.