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Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome V.djvu/96

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dans un lieu couvert on l’a vu boire et prendre pour cela plus de précaution qu’un acte aussi simple ne paraît en exiger. On laissait à sa portée un vase rempli d’eau : il commençait par regarder de tous côtés fixement et longtemps, comme pour s’assurer s’il était seul, ensuite il s’approchait du vase et regardait encore autour de lui ; enfin, après bien des hésitations, il plongeait son bec jusqu’aux yeux et à plusieurs reprises dans l’eau. Il y a apparence que les autres oiseaux de proie se cachent de même pour boire. Cela vient vraisemblablement de ce que ces oiseaux ne peuvent prendre de liquide qu’en enfonçant leur tête jusqu’au delà de l’ouverture du bec, et jusqu’aux yeux, ce qu’ils ne font jamais tant qu’ils ont quelque raison de crainte : cependant le jean-le-blanc ne montrait de défiance que sur cela seul, car, pour tout le reste, il paraissait indifférent et même assez stupide. Il n’était point méchant, et se laissait toucher sans s’irriter ; il avait même une petite expression de contentement cô… cô, lorsqu’on lui donnait à manger ; mais il n’a pas paru s’attacher à personne de préférence. Il devient gras en automne et prend en tout temps plus de chair et d’embonpoint que la plupart des autres oiseaux de proie[1].

Il est très commun en France, et, comme le dit Belon, il n’y a guère de villageois qui ne le connaissent et ne le redoutent pour leurs poules. Ce sont eux qui lui ont donné le nom de jean-le-blanc[2], parce qu’il est en effet

  1. Voici la note que m’a donnée sur cet oiseau l’homme que j’ai chargé du soin de mes volières. « Ayant présenté au jean-le-blanc différents aliments, comme du pain, du fromage, des raisins, de la pomme, etc., il n’a voulu manger d’aucun, quoiqu’il jeûnât depuis vingt-quatre heures : j’ai continué à le faire jeûner trois jours de plus, et au bout de ce temps il a également refusé ces aliments ; en sorte qu’on peut assurer qu’il ne mange rien de tout cela, quelque faim qu’il ressente : je lui ai aussi présenté des vers qu’il a constamment refusés ; car lui en ayant mis un dans le bec, il l’a rejeté, quoiqu’il l’eût déjà avalé presque à moitié : il se jetait avec avidité sur les mulots et les souris que je lui donnais, il les avalait sans leur donner un seul coup de bec ; je me suis aperçu que lorsqu’il en avait avalé deux ou trois, ou seulement une grosse, il paraissait avoir un air plus inquiet, comme s’il eût ressenti quelque douleur ; il avait alors la tête moins libre et plus enfoncée qu’à l’ordinaire ; il restait cinq ou six minutes dans cet état, sans s’occuper d’autre chose, car il ne regardait pas de tous côtés comme il fait ordinairement, et je crois même qu’on aurait pu l’approcher sans qu’il se fût retourné, tant il était sérieusement occupé de la digestion des souris qu’il venait d’avaler : je lui ai présenté des grenouilles et de petits poissons ; il a toujours refusé les poissons et mangé les grenouilles par demi-douzaines, et quelquefois davantage ; mais il ne les avale pas tout entières comme les souris, il les saisit d’abord avec ses ongles et les dépèce avant de les manger : je l’ai fait jeûner pendant trois jours, en ne lui donnant que du poisson cru ; il l’a toujours refusé : j’ai observé qu’il rendait les peaux des souris en petites pelotes longues d’environ un pouce ; et en les faisant tremper dans de l’eau chaude, j’ai reconnu qu’il n’y avait que le poil et la peau de la souris, sans aucun os, et j’ai trouvé dans quelques-unes de ces pelotes des grains de fer fondu et quelques autres parcelles de charbon. »
  2. Les habitants des villages connaissent un oiseau de proie, à leur grand dommage, qu’ils nomment jean-le-blanc ; car il mange leur volaille plus hardiment que le milan. Belon, Hist. nat. des oiseaux, p. 103… Ce jean-le-blanc assaut les poules des villages et prend les oiseaux et connins ; car aussi est-il hardi : il fait grande destruction des perdrix et mange les petits oiseaux ; car il vole à la dérobée le long des haies et de l’orée des forêts, somme qu’il n’y a païsan qui ne le connaisse. Idem, ibidem.