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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/103

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CHRONIQUES

leur allait être éternel. Ô illusions ! vous êtes donc de tous les âges !

Pendant que les cœurs se dilataient et que les visages s’épanouissaient sous les chauds rayons qui allaient bientôt nous dire adieu, moi, pensif, je regardais à l’horizon grandir les blancs nuages pleins de vapeurs glacées, et je parcourais les avenues de Sainte-Foye et de Sillery où déjà la terre durcie craque sous les pas. J’ai vu bien des feuilles mortes arrachées à leurs tiges fuir avec la bise aigüe et joncher les champs dépouillés de leurs moissons. Il y aura donc aussi un hiver en 1871 ; bientôt on mettra les doubles croisées ; les scieurs de bois, personnages courbés et sinistres, s’arrêteront à toutes les portes, semblables à ce vieillard éternel, couvert de frimas, qu’on donne comme l’image de l’hiver ; l’érable, le noble érable, cet ornement de nos bois, coupé, fendu, scié, mis en cordes, parcourra la ville avant d’accomplir son dernier sacrifice et de mourir pour nous qui nous parons de ses feuilles au grand jour national ; le givre s’attachera, pour ne les plus quitter, aux carreaux des fenêtres, et chacun, claquemuré dans sa maison comme dans un hôpital, attendra pendant six mois le doux retour des fleurs et les parfums de la plaine.

Six mois d’hiver, c’est déraisonnable, malgré tout ce qu’offrent d’encouragement et de consolations les belles fourrures étalées à l’exposition provinciale, et je ne vois pas que le légitime orgueil des manchonniers nous dédommage des frais qu’il nous coûte. Eh bien ! qu’importe. Allons chercher nos mitaines, nos crémones et nos pea jackets enfouies dans le camphre, au fond des valises, et faisons-nous une contenance,