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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/171

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CHRONIQUES

rent de leurs plus brillantes couleurs. On dirait un sourire errant parmi les cyprès.

Quelles ravissantes campagnes ! quelles vues délicieuses et magnifiques ! c’est dommage que la poussière des rues en cache au moins la moitié.

Il vient de se dresser une potence dans notre heureux pays ; le supplicié est un homme qui a empoisonné sa femme. Voilà un grand crime sans doute, mais combien de maris se fussent sentis indulgents dans leur for intérieur ! Bissonnette, le condamné, a pris la chose comme si le gibet avait toujours été son idée fixe ; il a demandé avec instance qu’on lui permît de travailler à l’échafaud, et, quelques instants avant l’heure fatale, il voulait payer la traite à ses gardiens.

Évidemment cet assassin était d’un bon caractère, et ce qui le prouve, c’est qu’il a toujours voulu empêcher ses enfants de se servir de la cuillère dans laquelle il mettait les médicaments empoisonnés. Sur l’échafaud, il a avoué son crime sans y mettre d’ostentation, et s’est coiffé lui-même de la taie d’oreiller traditionnelle dans laquelle on enveloppe la tête de ceux qu’on immole à la justice humaine. Il avait deux bourreaux, circonstance aggravante qui fait voir que si la pendaison se généralisait un peu plus, on ne manquerait pas de gens qui voulussent s’y faire une carrière. Mais c’est là précisément la difficulté. La pendaison n’est plus guère aujourd’hui qu’un accident et les hommes de la meilleure volonté possible ne trouveraient pas à gagner leur vie là où d’autres la perdent.