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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/182

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CHRONIQUES

de l’autre côté, la rive sud, tranquille, unie, qui s’incline en pente douce, avec ses villages resplendissant au soleil comme une longue draperie frangée d’une lisière éblouissante. En arrière, les Laurentides, dans leur sombre vêtement de pierre, arrêtées dans leur course, semblent vouloir s’élancer frémissantes dans le Saint-Laurent ; à gauche, plus rien que quelques maisons de plus en plus rares se perdant dans les montagnes qui ont repris leur cours, et, à droite, la Baie, la Pointe-aux-Pics, les coteaux Mailloux, tout ce gracieux tableau que j’aurais voulu peindre et que je ne fais que barbouiller. Hélas ! l’homme peut concevoir et s’élever bien haut ; dans les élans de sa pensée, il embrasse facilement des mondes sans bornes, mais quand il s’agit de les définir, il se retrouve ce qu’il est, un audacieux impuissant.

Je m’arrête, c’est assez pour aujourd’hui ; à demain la suite ; la mer est haute et le varech pétille sous les embrassements de la vague, je vais m’y plonger ; un bain, dans l’onde salée, vaut seul trois mille abonnés du National.


30 Juillet

J’ai dit que la Malbaie était un des plus beaux endroits de la terre et je le répète, je le tripète et je le dirai jusqu’à la fin de mes jours ; mais la Malbaie a un malheur, c’est d’être sur la côte nord du Saint-Laurent. Cette côte est inhumaine ; on voit bien qu’elle est un prolongement du Labrador ; là où vivent les Esquimaux, un Canadien ordinaire dépérirait, moins par l’usage immodéré de l’huile de phoque que par l’absence prolongée du soleil.

Des brouillards et des brouillards, des pluies torren-