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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/26

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bruit, un mouvement insensible d’épaules qui se déplacent, je regarde… l’honorable Hector venait de se faufiler, honteux, surpris, le long du groupe, afin d’arriver comme inaperçu au husting solitaire. MM. Chauveau, Simard, Daniel et quelques dévoués l’accompagnaient en silence. Mais aussitôt, ô peuple ! que tu es grand dans tes réveils ! « Trois hourrahs pour M. Langevin » s’écrie une tête nue qui se détache sur le flanc du husting, et quarante voix enrouées, avinées, criardes, répètent « Trois hourrahs pour M. Langevin. » Ces quarante voix étaient celles de quarante individus engagés, soudoyés à l’avance, aux trois quarts ivres, qui s’étaient emparé des abords du husting et qui vociféraient comme des forcenés au milieu du silence morne de tout le reste des assistants.

Être ministre fédéral, être élu par acclamation, et ne trouver, autour de l’estrade que l’on gravit pour y cueillir le triomphe, qu’un ramassis repoussant de vauriens en goguette qui vous applaudissent, quelle honte ! Et cependant, voilà ce qu’a accepté M. Langevin. Les ouvriers, qui travaillent à la démolition du bureau de poste et à d’autres ouvrages publics, avaient tous reçu congé afin de grossir la foule, et une bande de voyous, pris dans Saint-Roch parmi la plus épaisse crapule, se tenaient en groupe compacte, prêts à toutes les violences, tellement que, ne trouvant pas d’adversaires à combattre, ils se prirent de querelle entre eux et échangèrent des coups de poing pour essayer leur force. C’était hideux et humiliant. Derrière ce groupe de pendards se tenaient cent cinquante à deux cents spectateurs froids, immobiles, confus, muets, surpris de se voir là, attendant.