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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/273

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l’écaille de pourpre étinceler dans le plat ; le hareng et le maquereau, rissolant dans la poële, inondés d’une sauce dorée, pétillent déjà sous les regards avides ; on pense au large saumon attendant seulement le contact du couteau pour ouvrir ses chairs tremblantes d’embonpoint et presque animées encore… eh bien ! toute cette eau qui vient à la bouche par anticipation n’est qu’une duperie ; on déguste dans le rêve et ni huîtres, ni saumon, ni morue ne viendront une seule fois jusqu’à son palais que ses illusions caressent.

Ce qu’il est à peu près impossible d’avoir dans la Baie des Chaleurs, c’est du poisson sous aucune forme. Vous dirai-je que j’ai mangé là de la morue sèche venue de Québec ? On ne le croira pas, et aujourd’hui encore j’enrage d’être convaincu que c’est vrai. Il faut que j’explique ce phénomène.

D’abord, il est très rare que le poisson soit détaillé dans la Baie des Chaleurs, ceux qui s’occupent de pêche étant, généralement au service des Robin et des LeBouthillier auxquels ils doivent apporter le produit entier de leur travail : puis, les goëlettes et autres bâtiments qui viennent faire la pêche pour leur compte se gardent bien de débiter le poisson là où il n’a aucun prix ; ils l’apportent dans les villes du Canada ou s’en vont le vendre aux Antilles ; ensuite, les particuliers n’ont aucun goût pour un produit si abondant qu’ils en sont comme écœurés. Enfin, quoique Caraquet soit à l’entrée de la Baie des Chaleurs et que Shédiac soit sur le littoral du Nouveau-Brunswick, il est plus difficile de se procurer des huîtres à vingt milles de ces deux ports qu’à Montréal et à Québec, faute de communications locales.