Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/312

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pendant qu’elles se sauvent ; tu cherches à les saisir et tu ne fais qu’avancer le terme où ta main défaillante ne pourra plus compter que des instants. La coupe de tes jours est séchée. Tu t’effaces de ce monde comme un torrent rapide dont le soleil a dévoré la course et la disperse en vapeurs dans les airs, et quand on dira : « Où est-il, » et qu’on te cherchera, on ne trouvera plus qu’une vilaine poussière pas même bonne à faire des engrais sur les champs de tes censitaires. »

Ô ciel ! être seigneur, avoir le droit de corvée et se trouver pris de désespoir tout à coup à côté d’un bon feu, avec la perspective de l’Intercolonial passant l’été prochain sur mes domaines, quelle sombre dérision de ma fragilité ! J’aimerais presque autant n’avoir jamais eu de lods et ventes ;… ils sont substitués, malheureusement !

Tu te rappelles, lecteur pour qui je suis en train d’attraper un ramollissement de cerveau national, que tantôt, vers onze heures un quart, je devais m’analyser. Il y a de cela à peu près une demi-colonne. Si je parle par colonnes, c’est que c’est mon métier ; la colonne est mon unité générale à laquelle je ramène tout, qui me sert de mesure en toutes choses. Ainsi, quand j’ai trois dollars dans ma poche, je me dis : « Tiens, j’ai une colonne aujourd’hui, » et je m’achemine vers la Maison Dorée ou chez Éthier, si je suis à Montréal, chez Laforce, si je suis à Québec, avec mes amis Lucien et Oscar qui boivent prodigieusement depuis un mois ou deux ; heureusement qu’ils ont plus de colonnes que moi.

M. Le Bas, ingénieur de la marine française, qui avait présidé à l’installation de l’obélisque de Louqsor,