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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/335

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donc maintenant détruire ce qu’il a fait. Quelques jours il t’a donné le bonheur, il te l’ôte aujourd’hui : attends pour le voir revenir.

Ce qui est triste et malheureux en amour, c’est que la femme aimée remplace le monde entier pour soi, et, quand on l’a perdue, on croit qu’il ne reste plus rien à désirer. On aime encore plus sa souffrance que la femme qui en est la cause. On ne veut pas se consoler, parce qu’on craint de ne pas aimer autant en souffrant moins ; on craint le calme des passions comme si l’on devait sentir moins en se résignant davantage.

Le secret de la résignation, il est vrai, est dans le caractère. Un homme bouillant et emporté préfère la mort à la souffrance calme et patiente ; mais l’homme vraiment fort accepte son destin et conserve l’espérance.

Pourquoi le cœur de l’homme serait-il seul immuable, éternel dans ses affections ? Pourquoi se révolter contre la nature qui veut que tout périsse ? Quoi ! mon ami, il est donc possible que ton âme se nourrisse toujours d’une seule pensée et que ton esprit succombe parce que ton cœur est malade ! Si tu as le courage de vivre, un jour tu trouveras dans la satisfaction de tes vœux, dans le sacrifice de ta personne au bonheur des autres, assez de jouissances pour aimer encore la vie, et, si tu es condamné à souffrir, du moins ce ne sera pas sans compensation et sans utilité.

Ah ! ce qui empêche d’être tout à fait malheureux, c’est de savoir que ses maux peuvent servir au bonheur et à l’expérience des autres hommes. Si tu