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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/345

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pour vous qui aurez évité ainsi une banalité de plus en langue française, la langue de nos aïeux, qu’il faut conserver sans doute avec nos lois et nos institutions, mais qu’il est pénible de faire servir à toutes les niaiseries consacrées.

Maintenant, voulez-vous savoir ma pensée entière ? Je ne vous en veux pas, au contraire, puisque je me morfonds régulièrement pour vous une fois par semaine (trouvez donc quelqu’un qui en fasse autant parmi tous ceux qui, aujourd’hui, vous inondent de félicitations ) ; mais il m’est impossible de vous faire des souhaits. Je vous dirais plutôt :

« Regardez dans le passé ; il est plus ou moins lugubre, mais il est passé ; vous n’avez plus rien à en craindre ; vous savez ce qu’il vous a coûté et ce qu’il vous réserve. Quant à l’avenir, c’est l’inconnu. Or l’inconnu, malgré ses attractions, épouvante. Vous n’êtes pas tous des poètes qui cherchez l’idéal, et je vous en plains tout en vous enviant. Pour moi, hélas ! malgré toutes les désillusions, je me lance encore dans le mystère, je me précipite dans l’insaisissable, pensant y trouver encore mieux que ce que je saisis depuis que je fais des chroniques ; mais les désirs humains sont insatiables, et si vous avez un souhait à me faire pour l’année nouvelle, adressez-vous à mon éditeur qui a le cœur tendre et qui comprend ce qu’il en coûte pour vivre au même prix toute une année de plus. S’il est content de moi, j’ai une bonne chance. Sinon, ô dieux ! il me faudra grimper encore sur les flancs du rocher de Sisyphe, mais je n’y grimperai plus avec les mêmes forces.