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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/354

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Pour échapper aux misères qui nous entourent, à la certitude désolante que tout est faux, périssable, qu’il n’est rien, rien sur lequel on puisse fonder une assurance absolue, sans faire une large part aux défaillances humaines et à l’égoïsme d’autrui qui est l’écueil de toute confiance, il n’y a qu’un remède, se plonger dans l’idéal et créer par la pensée une existence en dehors de toutes les atteintes.

Lorsque je m’abandonne ainsi à cette divinité familière qu’on appelle la réflexion et qui m’attend toujours, patiente comme une veilleuse, dans quelque coin de ma chambre solitaire, il est une chose qui me frappe souvent, c’est l’impossibilité de la mort. Pourquoi la même pensée revient-elle toujours, sous une forme presque réelle, comme un ami qui me parle pour me rassurer ? Je ne l’explique pas, si ce n’est que rien ne peut me contenter de ce que je vois, de ce que j’ai et de ce qui me charme un jour pour me laisser le lendemain le dégoût ou le regret.

La mort, comme toutes les choses de ce monde, est relative. On est dissous, on est disséminé, pulvérisé, mais on reste quelque chose. Il n’y a pas une petite parcelle de cadavre qui ne se trouve un jour, sous une forme ou sous une autre, mêlée à d’autres objets. Être quelque chose indéfiniment, toujours, faire partie d’une multitude d’existences futures qui, à leur tour, se transformeront, se mêleront, voilà pour le corps. Quant à l’âme, qui est entièrement séparée de son enveloppe, quoiqu’on en dise, elle reste immortelle, invariable dans son essence. Elle embellit, se spiritualise, se purifie de plus en plus, mais ne change pas.