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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/369

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femme est tout apparence, tout dehors ; c’est son talent à elle de paraître aussi vraie que la vérité, aussi franche que l’acier trempé. Si donc elle paie, nous sommes coulés, rasés, flambés. Il faut y réfléchir, législateurs, maris et futurs maris. Mieux vaut cent fois faire une expérience qui coûte mille dollars en voitures et en meubles que d’en faire une qui rend ridicule pour la vie, sans même avoir pour soi les sympathies de son sexe.

Pour moi, homme, si j’avais le malheur de m’être fiancé dans un moment d’oubli, je tâcherais de me sortir de là coûte que coûte ; j’engagerais mes chroniques pendant dix ans, s’il le fallait, et je paierais même pour qu’on me poursuive en dommages-intérêts, préférant payer de ma bourse que de ma personne.

Depuis le récent arrêt qui vient de condamner une descendante d’Ève coupable seulement de s’être trompée d’époque, les jeunes filles sont furieuses, surtout les héritières, bien entendu. Dans les premiers transports de leur effroi, elles s’imaginent qu’elles ne pourront plus tromper personne et que, dès lors, leur rôle ici-bas est fini. J’ai reçu d’elles une vingtaine de lettres, toutes plus pressantes les unes que les autres, qui me supplient de revendiquer leurs droits. Je leur rendrais avec enthousiasme ce service si je pouvais compter que l’une d’elles seulement voulût me tenir en dehors de la loi commune, me faire l’honneur de ne pas me prendre à priori pour une dupe, simplement parce que je suis un homme ; je lui assurerais en échange un droit exclusif sur moi.