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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/37

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nord. Moi qui suis de toutes les conversations, je leur réponds, comme l’aurait fait Mirabeau, qu’il n’y a entre eux que la distance du Capitole à la roche Tarpéienne, l’espace d’un pas, mais que ce pas est un abîme.

Il n’y a pas encore beaucoup d’études de mœurs à faire ; les voyageurs sont en retard, et le grand hôtel de Cacouna, qui compte 400 chambres, en a à peine une cinquantaine de remplies. Mais en revanche, toutes les maisons privées ont reçu leurs familles ; on attend de jour en jour l’essaim nombreux, bruyant, qui vient toujours tôt ou tard s’abattre dans les hôtels, mais cette fois il se fait désirer. Quoi de plus attrayant pourtant que ce grand hôtel de Cacouna ! L’habitant du Saint-Lawrence Hall est un dieu et il n’a pas le temps d’avoir un désir. Pour égayer les repas et faciliter la digestion troublée par le surcroît d’appétit qu’apporte l’air vif de la campagne, des musiciens loués pour la saison font entendre les sons de la harpe, du violon et de la flûte, et cela au déjeuner, au lunch, au dîner, au souper. Je suis arrivé ici au son des fanfares, comme un triomphateur ; la valse, la valse joyeuse, toujours amoureuse, éclatait dans les airs ; quelques amis que je ne m’attendais pas à voir me reçurent dans leurs bras ; on ne me donna pas le temps de rien demander, tous mes désirs étant prévenus et satisfaits d’avance.

Il était six heures du soir. Je pris un souper homérique, fabuleux, puis je descendis la colline et me promenai sur la rive retentissante, écoutant le sourd battement des flots repoussés par l’abîme, qui ressemble à une canonnade lointaine. Quel grand et superbe fleuve que ce Saint-Laurent avec la bordure des énormes montagnes du nord, escarpées, jaillissantes, sourcilleuses,