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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/381

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Cette année, renaître sous le soleil signifie passer à travers dix pieds de neige, quelquefois vingt ; il y a même des poteaux de télégraphe complètement enfouis qui, eux aussi, vont renaître sous le soleil. Dans les cours de certaines maisons, la neige domine les toits ; il y a jusqu’à des rues entières où, pendant un mois, les locataires n’ont eu d’autre issue que par les lucarnes. Maintenant que la neige a fondu de moitié, ils sortent par les fenêtres du troisième ou du deuxième étage, suivant le cas ; c’est ainsi que fait John A. MacDonald, bloqué par la motion Huntington. Il lui faut descendre d’étage en étage jusqu’à ce qu’enfin il arrive à la porte qui l’attend avec la débâcle.

Tous les printemps c’est la même chose dans cette ville en compote où tout le monde se plaint et où tout le monde laisse à l’abandon s’entasser devant sa porte des monceaux de fumier et les ordures de toute la province. Avec cela que le pont de glace est inébranlable ; il résiste à la pluie, au vent, au soleil, aux prières de 60,000 âmes en état de grâce et toutes puissantes au ciel. Les ponts de glace sont des châtiments, ils ont l’impassibilité d’une sentence ; jour par jour, je dirai heure par heure, on va regarder si l’un des grands dissolvants de la saison entame sensiblement cette épaisse couche qui tient notre fleuve captif, et, chaque fois, c’est une déception nouvelle.

Depuis trois jours le pont n’a pas bougé d’une ligne. À trois ou quatre cents pieds seulement de l’endroit où il s’arrête, les voitures passent comme en plein cœur d’hiver, et l’on voit, presque sur la limite même de cette prison de glace, un bateau à vapeur tenter d’impuissants efforts pour en sortir. « Quand on aura le