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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/39

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les lieux où il y a encombrement, ils se répandent davantage dans les différentes campagnes qui bordent le fleuve, où presque tous ils ont des familles amies qui les attendent pour passer un mois ou deux. Au lieu de revenir des eaux amaigris, fatigués, ahuris, ils en reviennent avec des forces nouvelles et des couleurs éclatantes sur les joues. Mais pour celui qui cherche le tourbillon, qui veut oublier et se plonger durant quelques jours dans l’ivresse des plaisirs semés sous ses pas, qu’il vienne au Saint-Lawrence Hall, il est certain d’oublier les heures et les quantièmes. Perdre le fil du temps, c’est un des rares bienfaits que la Providence ménage aux malheureux, mais hélas ! il faut toujours le ressaisir, et les heures de repos comptent alors comme des siècles.

Cacouna, vous le savez, est à deux lieues et du village et du quai de la Rivière-du-Loup, deux lieues d’une route charmante, plus belle et mieux tenue qu’aucune rue de la ville. Son nom est déjà célèbre même aux États-Unis ; un Américain, avec qui j’ai fait le trajet, me disait que bon nombre de ses compatriotes songeaient à déserter les oasis brûlantes de Long Branch et les ruineuses somptuosités de Saratoga, pour venir ici se retremper avec beaucoup moins d’argent et beaucoup plus de satisfaction. Il regardait les champs, les clôtures, les maisons, les voitures qui passaient, et ne cessait de m’interroger sur les habitudes, les progrès, les ressources, les différents genres de culture, le degré de prospérité, les tendances des habitants, et, tout en m’interrogeant, il m’instruisait moi-même. Pour les Américains tout est matière à instruction ; ils possèdent une foule de connaissances pratiques sur les