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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/397

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masse, par paroisses entières, ces champs concédés depuis deux siècles, ces longues terres de trente à quarante arpents, les régions fertiles où l’on compte tant de chemins de colonisation énumérés dans les rapports officiels, et tout cela malgré les nombreux agents d’émigration envoyés en Europe pour en revenir seuls ! malgré tant de brochures où le Canada paraît comme le premier pays du monde ! Il lui faut fuir cet Eden, ce paradis ignoré, parce qu’il y meurt avant d’y avoir connu la vie, parce qu’il n’a pas d’engrais, parce que les hivers sont trop longs et que sept mois perdus dans l’année sont plus que n’en peuvent supporter les plus fortes races ; parce qu’aujourd’hui il faut de l’argent, de l’argent comptant pour tout ce qui ne se payait autrefois qu’après un quart de siècle, parce qu’il y a une foule de besoins nouveaux qu’on ne peut satisfaire rien qu’avec de l’orge, de l’avoine et du sarrasin, et qu’il faut absolument des fabriques, des usines, des manufactures, des travaux enfin de toute sorte pour ne pas chômer dans la misère et ne connaître du lendemain que l’effroi qu’il inspire.

Et pourtant ! quelle chose suave, adorable, limpide, purpuréenne et azurée que la campagne ! Voyez : C’est maintenant le crépuscule ; les grands, les moyens et les petits bœufs reviennent avec leurs compagnes des limites des champs ; ils reviennent pensifs, en songeant à l’avenir de leur race ; le soleil gigote parmi les derniers nuages qui s’étalent à l’horizon ; il s’en échappe des reflets de toutes les couleurs qui