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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/450

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pour protéger des droits, soit pour sanctionner de bonnes habitudes ou empêcher des abus qui troublent l’ordre public. Toute loi, faite uniquement pour contraindre, est vexatoire et immorale, immorale, oui, certes. Prenez pour exemple Xew-York ; depuis que la vente des liqueurs y est interdite le dimanche, on voit la foule, une foule énorme quitter la ville et se rendre à Hoboken et à Staten Island, et y faire d’épouvantables orgies souvent accompagnées de rixes et de crimes. Le soir, tout ce monde-là revient à la ville, et il faut voir alors quel spectacle présentent les ferry-boats et les rues qui bordent les quais !

Cette conséquence est toute naturelle et il serait surprenant qu’il n’en fût pas ainsi. Laissez aux hommes l’usage ordinaire, quotidien d’une chose ou d’un droit quelconque, il est rare qu’ils en fassent un abus ; la licence, dans ce cas, est exceptionnelle, et ce n’est pas pour l’exception qu’on doit faire les lois. La répression, qui est un châtiment, ne doit s’appliquer qu’aux délits ; or, on en fait ici une mesure générale qui atteint tout le monde. Pour justifier une loi comme celle qui interdit la vente des liqueurs le dimanche, il faut l’existence de graves abus de nature à troubler l’ordre ou la décence publics. Comment les abus sont-ils constatés ? Par la plainte qu’on en fait ou par le cri général qu’ils soulèvent. Or, quels sont les citoyens paisibles, quelles sont les familles que la vente des liqueurs a troublés le dimanche plus qu’aucun autre jour de la semaine ? Le commerce des liqueurs est mauvais en soi ou il est indifférent : s’il est mauvais, qu’on le supprime tout à fait ; s’il est indifférent, en