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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/59

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CHRONIQUES

Laurent, en bas de Québec. Lorsque vous avez passé les premières campagnes qui sont Beauport, Château-Richer, Sainte-Anne et Saint-Joachim, terminées brusquement par le cap Tourmente, ce cap effrayant qui tombe perpendiculairement dans le fleuve, de deux mille pieds de hauteur, vous ne voyez plus rien qu’une chaîne abrupte, tourmentée, souvent aride, toujours grandiose, de montagnes qui se suivent jusqu’au Labrador en fermant l’accès à toute tentative d’habitation.

Quelques paroisses y viennent couper çà et là la nature surprise dans son orgueilleuse indépendance ; c’est la Baie Saint-Paul d’abord, après un intervalle de dix lieues de solitude farouche, puis les Éboulements, puis Saint-Irénée, puis la Malbaie… puis plus rien que quelques petits postes perdus sur le penchant des montagnes. Les quatre paroisses que je viens de nommer se suivent ; comment font-elles ? je n’en sais rien, c’est par esprit d’imitation. Mais si elles se suivent, c’est en se disloquant. Tudieu ! quelles routes ! de la Baie Saint-Paul à la Malbaie, un espace de neuf lieues, ce sont des côtes continuelles ; l’une de ces côtes a trente arpents de longueur, je veux dire de hauteur. Il faut pour les gravir des chevaux faits exprès, des chevaux qui aient des sabots comme des crampons et des muscles en fil de fer. Les jambes de ces petits chevaux sont comme des rondins crochus ; ils ne montent pas les côtes, ils les saisissent, et quand ils les descendent, c’est comme s’ils les retenaient.

J’ai cru vingt fois que j’allais me casser le cou dans cette fameuse Côte à Corbeaux qui monte du fond de la Baie Saint-Paul jusqu’au haut du plateau qui domine le fleuve, et en face duquel est l’île aux Coudres : eh bien !