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Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/70

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débarquai toutefois et parcourus le premier village : rien, rien ; je revins accablé d’ennui.

À neuf heures, nous repartîmes. Deux heures après, nous étions devant ce fameux cap de la Trinité qui tombe tout d’un bloc, droit et roide, d’une hauteur de 500 mètres. C’est effrayant et vertigineux. Le bateau passe à quelques pieds seulement au bas de cette montagne formidable que recouvrent seulement çà et là quelques rares touffes de sapins étiques, et qui se forme de trois pics s’élançant dans le ciel comme pour attirer et menacer tour-à-tour la foudre. Par quelle colère, par quelle fureur de la nature ce bloc isolé, horrible, a-t-il été arraché de la chaîne des Laurentides et jeté ainsi dans le Saguenay ? c’est ce qu’on se demande avec effroi. Les échos y sont puissants, multiples infinis ; un coup de sifflet de la vapeur y retentit près de trois minutes en se répercutant de montagne en montagne, de gorge en gorge, jusqu’à ce qu’il se perde dans l’espace comme un soupir douloureux. Seul, le cap Trinité brise la lourde uniformité de cette chaîne aride, désolée, d’une grandeur repoussante, qui borde le Saguenay dans tout son cours. L’instant d’après, on retrouve la même scène, les mêmes aspects, jusqu’à ce qu’on arrive enfin, à deux heures et demie, devant Tadoussac, heureux d’échapper à ce spectacle qui commence à peser de son poids gigantesque.

Le défaut à peu près général du paysage canadien, c’est de manquer de pittoresque, c’est d’avoir une uniformité, pleine de grandeur il est vrai, mais bientôt fati-