Aller au contenu

Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
CHRONIQUES

En fait de curiosités, il y a encore ici une baleine de soixante pieds qu’on a trouvée échouée sur la côte nord et qu’on a remorquée jusqu’à Québec, pour la montrer aux badauds, moyennant dix cents. C’est une chose très rare qu’une baleine dans les capitales ; aussi, ne s’aborde-t-on depuis quelques jours dans les rues qu’avec ce dicton consacré par un usage solennel : « As-tu vu la baleine ? » Ceux qui ne l’ont pas vue rougissent de leur ignorance ou de leur pauvreté ; pour moi, j’ai ces deux grâces heureuses qui mènent droit au royaume des cieux. Et cependant, vous allez voir quelle profondeur de science je trouve à l’occasion.

À propos de ce cétacé qu’on exhibe à mes concitadins, je me suis fait cette question. Quels ont été les premiers baleiniers ? R. S. V. P. Ce n’est pas le Breton, dominateur des océans, ni le rude Danois, ni le Hollandais à moitié amphibie, ni le hardi Norvégien, fils des rois de la mer. Non, ce sont les Biscaiens et les Basques qui, les premiers, osèrent attaquer le Léviathan dans ses abîmes, et cela remonte à 1575.

Des historiens, comme il y en a tant, ont voulu prouver, il est vrai, que les Norvégiens avaient été les premiers venus sur ce champ de pêche formidable ; mais en cherchant la preuve, ils ont perdu la piste. Ce que les Norvégiens chassèrent, c’est probablement le grampus du Nord, ou quelque autre diminutif de la baleine. Le vieux navigateur norvégien du neuvième siècle, Tethore, qui a raconté lui-même ses aventures merveilleuses au roi Alfred, parle de non moins de soixante baleines qu’il aurait tuées en un seul jour.