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Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/125

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VOYAGES.

Tout le long de la route je fus condamné à un système de politesses irritantes qui heureusement, une fois remplies, me donnaient une excuse pour m’échapper. Le bas-bleu est un être qui ne mange pas, qui ne dort pas, qui méprise toutes les nécessités de notre pauvre nature, et dont les caprices sont formidables par le nombre et la variété. Le mien ne tenait à la terre que par des filaments barbouillés d’encre ; cette femme avait apporté avec elle toute une papeterie et elle écrivait vingt lettres par jour sans compter les impressions de voyage ; et que de notes, grand Dieu ! Elle ne dormait pas, elle était extrêmement énervée, et de la voir, et d’en avoir soin ajoutait à mon propre énervement qui, cependant, aurait pu me suffire.

Elle disait qu’une seule chose la soutenait, le café, et à chaque station où le train arrête pour les repas, il me fallait aller lui en chercher une tasse et perdre sept à huit minutes à l’attendre. Parfois je m’esquivais, mais comme j’avais bien plus besoin de mouvement que de nourriture et que je ne pouvais marcher que sur la plate-forme de la gare, elle ne tardait pas à m’apercevoir et je voyais aussitôt apparaître par la croisée du car la tasse inévitable. Elle était maigre et sèche et disait que le lait fait engraisser, mais elle se gardait bien d’en prendre ; au reste, créature d’une intelligence réelle et qui aurait pu plaire sous certains rapports comme femme, si elle avait voulu consentir à être moins homme.