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Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/187

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VOYAGES

Je songeai à rentrer chez moi. Chez moi, c’était chez tout le monde. Ce qui m’attendait au bout de ma course, c’était l’hôtel où deux à trois cents personnes, toutes étrangères, toutes indifférentes, avaient pris comme moi un domicile d’un jour. J’avais déjà vu beaucoup de choses dans ces deux heures passées sur les trottoirs. J’entrai, mais je ne sais quel froid me saisit subitement au cœur ; l’excitation fébrile avait disparu ; il me sembla en mettant le pied sur le marbre froid du vestibule de l’hôtel que je foulais les dalles d’une vaste tombe. Et, en effet, qu’était-ce pour moi que ce splendide édifice, sinon comme un décors somptueux à mon abandon ?

Je montai. Les vastes corridors étaient silencieux ; ça et là un bec de gaz affaibli jetait une lumière mélancolique à l’angle d’une allée ; presque tous les hôtes avaient regagné leurs chambres ; quelques fenêtres brillaient bien encore, mais aucun bruit ne se faisait entendre. J’arrivai au numéro 65 ; ce numéro, c’était chez moi. J’entrai, je ne savais pas au juste ce que je venais faire là. Une espèce de terreur vague, pleine de fantômes et d’images où se confondaient l’angoisse et les souvenirs, avait soudain envahi mon cerveau. J’allumai le gaz de ma chambre et j’attendis…… quoi ? que pouvais-je attendre ? Je ne sais. Il est des heures d’une angoisse telle que l’hallucination est irrésistible. Il me sembla que ma sœur était près de moi et qu’elle allait ouvrir ma porte pour se précipiter dans mes bras ; il me sembla que ma mère, que je n’avais jamais connue, écartait le plafond de ma chambre et venait doucement vers moi pour me prendre dans ses ailes : je revis la patrie absente, les amis perdus pour toujours, je prononçai quelques noms chers entre tous, des noms que ma pensée