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Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/199

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VOYAGES

même mon gros saucisson qui me rentrait jusque dans le nez et mon morceau de langue qui avait fini par ne plus avoir de forme. C’était ma bouteille de cognac qui en souffrait ! En effet, pour pouvoir digérer tant de carton mâché, il me fallait l’arroser violemment ; aussi, dès la fin du deuxième jour, ma bouteille était-elle évaporée et je dûs la renouveler à un prix fabuleux. Le côté moral de la question n’était guère plus réjouissant. Un homme qui voyage dans des conditions pareilles ne se fait pas d’amis ; en effet, il est difficile de traiter les gens avec du saucisson, et quand on a fait plusieurs repas de cette victuaille compacte, on devient tellement farouche et avide de viande fraîche qu’on prendrait volontiers une bouchée de son voisin.

Donc, le saucisson est antipathique aux relations sociales.



IV.


Nous avions fait environ deux cent cinquante lieues et n’étions plus qu’à quelques heures d’Ogden. Le train s’arrêtait à un village dont j’ai perdu le nom, et qui est, parait-il, le centre d’opération des joueurs de Monte, des dévaliseurs de toute espèce, de ces rowdies terribles des régions minières, dont il reste encore un certain nombre aujourd’hui, quoique l’exercice de leur profession devienne de plus en plus difficile.