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Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/224

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VOYAGES

Ce jour là était le jeudi. Dès onze heures, c’est-à-dire à l’heure de la distribution de la malle venant de l’Est, je me trouvais au bureau de poste : « Il y a une lettre enregistrée à votre nom, me dit le commis. De qui l’attendez-vous et de quel endroit ? » Ces formalités étaient nécessaires ; heureusement qu’elles ne m’offraient aucune difficulté. Je répondis nettement ; il n’y avait pas d’erreur possible, et l’on me livra ma lettre…… Je n’osais y toucher, ma main tremblait, il me semblait marcher sur des fils électriques ; le bonheur trop longtemps attendu est comme le bonheur inattendu ; il vous surprend avec autant de violence et vous n’osez y croire. — J’avais donc là cent dollars et j’allais sortir de ce trou maudit où, depuis cinq jours, j’éprouvais des humiliations, des déceptions et des découragements sans nombre ! — Je courus à l’hôtel sans ouvrir ma lettre ; le train devait partir avant deux heures et demie, et j’avais une foule de petites choses à faire. Je préparai ma malle et je m’habillai pour le voyage. Je descendis et demandai mon compte ; je devais avoir l’air de Napoléon à Austerlitz. Il y avait dans Omaha un brave Allemand, propriétaire d’un saloon, qui m’avait fait souvent crédit sur ma bonne mine ; je pensai à lui d’abord ; je courus à la banque la plus voisine, j’entr’ouvris en frémissant ma lettre…… il y avait dedans un billet de dix dollars !………………………

Non ! cela ne pouvait être. Je tournai et retournai vingt fois le billet entre mes mains : mes yeux me trompaient sans doute : il ne pouvait y avoir tant d’ironie et