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Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/323

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le dernier mot.

Maintenant, combien d’hommes en chaque siècle ont été les flambeaux de l’humanité, l’ont dirigée dans une voie sûre, portée vers de nouvelles connaissances, ont agrandi et éclairé ses horizons ? Comptez-les. Reportez ensuite vos yeux sur cette masse confuse, épaisse, énorme, qui se débat dans les ténèbres de la vie, en augmentant tous les siècles par dizaines de millions, et voyez tout ce qui reste à faire et qu’on aurait fait si l’homme n’était pas le triste jouet de toutes les erreurs et de toutes les petitesses.

Et cependant on s’agite, on prépare, on dispose à l’avance, à l’avance ! quel mot illusoire ! on se bat, on se tue, on aime, on espère. Quoi ! est-ce que l’homme a le temps d’espérer ? Entre la conception du vœu et l’instant de sa réalisation, qu’est-ce qui s’écoule et cela vaut-il la peine d’être compté ? On avance péniblement, douloureusement. Chaque conquête de la science est débattue, contestée, repoussée souvent et condamnée. On ne peut faire un pas de l’avant sans des luttes mortelles, et ainsi, en supposant que l’homme, par des transformations multipliées indéfiniment, arrive à la perfection, ce ne serait qu’au prix d’une souffrance incessante.



Voilà notre lot. Il faut le prendre et vivre. Vivre ! que dis-je là ? Eh quoi ! nous mourons à toute heure, à chaque instant de ce que nous appelons la vie. L’homme commence à mourir du moment où il naît à la lumière ; chaque jour, il perd quelque chose de lui-même et chaque instant est une souffrance, souvent inconsciente, mais tou-