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Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/43

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CHRONIQUES

soustraire au sort qui le menace. On va le condamner ; à quoi ? à la peine de mort. Il a tué ; n’est ce pas juste ?

Un instant ! Qui dit que cela est juste ? Vous, vous-même, la société. Vous vous décrétez de ce droit qui n’appartient qu’à Dieu, et puis vous le proclamez, vous l’érigez en maxime, il fait loi. Vous ne voyez donc pas que vous vous faites juge dans votre propre cause ? Et si cette loi, contre laquelle la conscience humaine aujourd’hui proteste, n’est qu’un manteau qui ouvre votre ignorance ou votre impuissance à trouver les vrais remèdes, n’est-elle pas cent fois plus criminelle que la passion aveugle qui a poussé le bras dans un moment de colère irréfléchie ? Le meurtre est un grand crime, c’est vrai : mais souvent ce crime n’est que l’effet d’une surexcitation passagère, ou de quelque vice de nature, le plus souvent même d’une éducation qu’on n’a rien fait pour corriger, et dont la société est la première responsable. Et cependant cette société, qui veut être juste, punit le criminel d’un long supplice qui commence le jour de son emprisonnement et finit le jour de son exécution !

Qu’on ne parle pas de l’exemple : c’est monstrueux. N’y eût-il qu’un seul crime commis sur toute la surface du globe en un siècle, que cela suffirait à démontrer l’impuissance de ce raisonnement. L’exemple des autres, hélas ! est toujours perdu pour soi, et c’est une vérité douloureuse qu’on ne se corrige jamais, de même qu’on n’acquiert d’expérience qu’à ses propres dépens. Non, jamais, jamais la vue d’une exécution n’a servi d’exemple ni produit autre chose qu’une démoralisation profonde. Et pourquoi ? C’est bien simple. La vue du sang inspire une horreur qui vient de la sensibilité, mais qui corrompt l’esprit, et l’on