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Page:Buies - Chroniques, Tome 2, Voyages, 1875.djvu/56

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CHRONIQUES

Boston, dans d’autres grandes villes, pour y retremper et dégourdir ses ailes, on n’en revient que plus vite vers ce glorieux petit roc de Champlain qui renferme encore tout ce que nous avons de plus cher et de plus vénéré dans nos souvenirs. Et certes, au milieu d’un temps qui nous emporte avec lui dans sa course vertigineuse, ne laissant rien debout, souvent même dans nos affections, et qui nous précipite vers l’avenir en n’accordant au pauvre passé que d’impitoyables dédains, est-ce donc trop qu’il reste une ville, une seule, où l’on puisse se sentir vivre un jour et se reposer à l’aise dans le torrent de la durée ? Au moment où tout s’efface, où tout se transforme et s’oublie comme si l’humanité n’avait pas d’histoire, au moment où nos vieilles institutions, avec leur caractère propre, et nos vieilles coutumes vont se perdre, aussi elles, dans le même gouffre qui ne ménage rien, n’est-ce pas consolant de savoir qu’il reste au moins pour notre langue un petit boulevard impénétrable, insaisissable, qui, par son inertie apparente et l’obstacle immobile qu’il oppose, résiste à l’entraînement du vertige et conserve intact ce qu’il ne faut perdre à aucun prix, ce qui sera toujours beau, toujours nouveau même après des siècles, notre langue, le plus précieux des trésors laissés par nos ancêtres comme aussi le plus digne d’être conservé.

Messieurs, c’est une chose incroyable vraiment, et tout-à-fait inexplicable, qu’un peuple aussi vertueux que nous le sommes trouve tant de détracteurs, qu’on s’amuse beaucoup plus de nos vieux usages, de notre manière de parler la langue, de nos quelques faiblesses vaniteuses, de notre léger penchant à la prétention, qu’on ne prend de peine pour découvrir la cause de ces imperfections vénielles qui se