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Page:Buies - La lanterne, 1884.djvu/125

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charrues aux habitants de la campagne qui se plaignent des mauvaises récoltes.

Le curé Picard étiquette les dernières fioles de l’huile de Notre-Dame-de-Pitié, dont quelques-unes de ses pénitentes ont besoin cette nuit même.

L’évêque de Montréal recire Saint Pacifique qui ne voit plus que d’un œil, et qui a perdu trois cheveux dans la traversée de Rome à Montréal.

Le gros chanoine Lamarche signe des brevets à ceux qui inventent les meilleurs moyens de mentir en gardant l’anonymat.

La nuit est profonde, terne, silencieuse. Des nuages sans forme et sans couleur passent comme ces ombres qui s’abaissent subitement sur les flots ; la lune attristée n’a point d’éclat, et semble un grand œil morne ouvert sur l’immensité. Çà et là, quelques étoiles gisent immobiles dans les profondeurs des cieux ; la nature est inerte, l’espace n’a pas de bruits ; de temps en temps, la neige tombe lourdement des toits sur le pavé muet ; l’horreur me saisit…

Ce fut sans doute au sein d’une nuit pareille que les prêtres se partagèrent la conscience humaine.

« Il faut étouffer la pensée qui est la lumière du monde, » s’écrièrent-ils, et depuis lors les tyrans et les imposteurs ont répété ces mots qui retentissent comme un glas funèbre parmi les pleurs des générations.

Ceux-là seuls qui disent la vérité sont les seuls qu’on n’écoute point.

La vérité n’est pas encore un fruit mûr, et les larmes des hommes ne l’ont pas assez arrosée.

Quand on erre dans les champs au lever de l’aurore, on voit les brins d’herbe se relever péniblement sous la rosée de la nuit ; ainsi la vérité émerge avec peine des sueurs de ses martyrs.

Les gibets et les échafauds ont porté des milliers de cadavres ; mais la raison humaine n’a pas cessé d’être immolée pendant quarante siècles…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je m’arrête juste à temps. Où allais-je ? grand Dieu ! Dans quelle course effrénée m’entraînait l’imagination, cette folle du logis ?

Je deviens poétique quand j’oublie l’Ordre et le Courrier ; mais cette fois j’ai été absurde. Cela s’explique : entre le génie et la folie, il n’y a qu’un pas ; mais entre le Nouveau-Monde et le bon sens, il y a l’infini…

C’est la même chose, c-à-d… non… je divague.