Aller au contenu

Page:Buies - La lanterne, 1884.djvu/306

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
306

CORRESPONDANCE


Lowell, 28 Février 1869.
Monsieur,

Étant un ami de la lumière, permettez que je dépose ma quote-part d’huile dans votre aimable Lanterne.

La lecture de votre enfant bien-aimé, comme vous l’appelez à bon droit, me fait voir comment en Canada il faut que MM. les prêtres s’y prennent pour extorquer les dollars des pauvres gens de ce pays. Là les saints cirés et les bénédictions papales font un effet admirable. Ici, la classe canadienne étant en contact avec un peuple qui rit de tout cela, les saints en cire et les oraisons du Saint-Père feraient un mauvais effet ; alors il leur faut recourir à d’autres expédients. Mais la sagacité d’un bon père oblat, tel que le révérendissime Garant, a trouvé un magnifique moyen pour arriver à ce but. Le voici : « Mes chers frères, leur dit-il un jour au prône, il faut que nous fassions quelque chose au bénéfice de notre église naissante de Lowell. J’ai donc résolu que nous aurions un festin dans ce but, et aujourd’hui, après vêpres, les dames et demoiselles se réuniront ici et choisiront un certain nombre d’entre elles pour préparer les tables et quêter pour l’achat des comestibles. »

Ce qui fut dit fut fait : les quêteuses furent élues parmi les bonnes brebis : « Voici, dit M. le révérendissime, comment se feront les choses. Nous chargerons vingt-cinq centins pour l’entrée et ensuite tel prix pour un morceau de pâté, tel autre pour une dragée, tel autre pour une orange, etc. » Voilà comment ce bon pasteur tondait trois fois ses moutons dans le même printemps : d’abord par une quête, ensuite par le prix d’admission et, enfin, par le prix de chaque bouchée qu’il leur était agréable de prendre.

Mais quoique tondus trois fois pour la même chose, le pasteur s’aperçut qu’il leur restait encore un peu de laine ; il résolut de tout avoir, et voici ce qu’il imagina pour leur enlever leurs derniers dix centins. C’était une pêche à la ligne.

« Mais, me direz-vous, comment peut-on pêcher à la ligne dans une salle ou il n’y a ni eau ni poisson ? » Non il n’y avait pas d’eau, mais il y avait du cidre et de la bière, quoique M. Garant prêche la tempérance. Voici en quoi consistait cette pêche.

Différentes bagatelles se trouvaient dans une boite placée de manière que le pêcheur ne pût en apercevoir le contenu. On promenait alors l’hameçon dans cette boîte et on le retirait le plus souvent nu, et, accrochait-il quelque chose, l’objet était encore bien au-dessous du prix du coup de ligne. Cependant le bon curé ne se montrait pas trop exigeant et ne demandait que dix centins du coup.

C’est ainsi que l’on cultive ici la bourse des bons canadiens. Pour terminer la soirée on donnait pour dessert des exercices tels qu’on en voit dans les cirques ; culbutes et autres… C’est la deuxième représentation de ce genre depuis l’installation à Lowell du rév.