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Page:Buies - La lanterne, 1884.djvu/325

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autre que le dieu des batailles et des enfers ; vous avez foi dans la science qui prépare ce glorieux avenir, vous voulez détruire les préjugés qui l’arrêtent, ah ! fuyez, fuyez vite sous le soleil de votre patrie, et n’attendez pas en demeurant avec nous que vous soyez victime peut-être de ce pouvoir terrible dont je vous parle et que je n’ose vous nommer…

« Voulez-vous que je vous dise encore, » reprit tout à coup M. d’Estremont, comme emporté par un flot d’idées sombres qui se précipitaient dans sa tête, « il n’y a pas un homme, pas un acte, qui soit à l’abri de ce pouvoir. Il tient tout dans sa main ; il fait et défait les fortunes politiques ; il force les ministères à l’ensencer et à le reconnaître parfois comme le seul véritable gouvernement dont ils ne sont que les instruments malheureux. C’est lui qui conduit et maîtrise l’opinion ; tous les ressorts de l’état, toutes les forces publiques il les enchaîne et les pousse à un seul but, la domination sur l’intelligence asservie ; il a deux merveilleux moyens, l’ignorance des masses et la peur chez ceux qui pourraient diriger l’opinion, mais qui ne font que la suivre honteusement, plus serviles en cela que le peuple qui courbe la tête par aveuglement et par impuissance. Tous les hommes convaincus et libres qui veulent s’élever contre lui, il les brise et en fait un fantôme d’épouvante pour le peuple crédule et trompé. Et cependant, vous chercheriez en vain de quelles forces il dispose ; il semble n’avoir aucune action directe ou apparente, mais il conduit tout par l’ascendant d’une pression morale irrésistible. Voulez-vous savoir où est le siège de cette puissance souveraine ? Ouvrez le cœur et le cerveau de tous les canadiens, et vous l’y verrez établie comme un culte, servie comme une divinité.

« Ah ? vous venez voir un peuple jeune, plein de sève et d’avenir ; vous venez contempler la majesté des libertés anglaises chez des colons de l’Amérique ; vous venez admirer le spectacle d’un peuple, jouissant à son berceau de tous les droits et de toutes les franchises de l’esprit que les nations d’Europe n’ont conquis qu’après des siècles de luttes et des flots de sang versés… eh bien ! le plus affreux et le plus impitoyable des despotismes règne sur nous à côté de cette constitution, la plus libre et la plus heureuse que les hommes puissent jamais rêver. C’est lui, c’est ce despotisme qui abaisse toutes les intelligences et déprave tous les cœurs, en les armant sans cesse de préjugés et de fanatisme contre la liberté et la raison. C’est lui qui est cause qu’aucune conviction libre et honnête ne puisse se déclarer ouvertement, et que tant d’hommes politiques, par la crainte qu’il leur inspire, luttent entre eux de duplicité et de servilisme, préférant dominer avec lui en trompant le peuple, que de se dévouer sans lui en l’éclairant.

« Ah ! vous frémiriez, vous, Français, si je vous disais que le nom de la France, si cher au peuple cananien, que cette nationalité pour laquelle il combat depuis un siècle et qu’il a payée parfois du prix