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Page:Buies - Lecture sur l'Entreprise du Chemin de Fer du Nord, 1874.djvu/7

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lement pour le commerce local, et à $730,000 pour le transit, ce qui donne un revenu total de plus de deux millions. La compagnie du Richelieu fait, elle, en chiffres ronds, $500,000 par année, et de bénéfice net, à peu près $150,000 ; l’année de la compagnie Richelieu, ne l’oublions pas, ne dure que six mois ; et, à ce sujet, qu’il nous soit permis de dire un mot en passant sur la jalousie qu’inspirerait, prétend-on, à la compagnie Richelieu et au Grand-Tronc, la construction du chemin de fer du Nord.

IV.

Cette jalousie, si elle existe, est absolument inintelligente, et il faut de bien fortes preuves pour y croire ; le Grand-Tronc a peut-être plus de motifs pour la ressentir, mais ces motifs sont insuffisants, comme on peut s’en convaincre. Il se peut que quelques individualités, dans ces deux grandes compagnies, voient notre chemin de fer d’un mauvais œil ; mais, comme corps, elles n’ont rien à en craindre : au contraire.

La compagnie du Richelieu fait un commerce tout à fait à part ; aucun chemin de fer au monde ne pourrait lui enlever son fret et qu’une très faible partie de ses passagers, ceux qui sont en retard ou trop pressés. Tout le monde sait que le transport par eau est beaucoup plus économique que par terre, et que, dans la belle saison, les voyageurs préfèrent de beaucoup les bateaux aux chemins de fer. Et puis, c’est un bien grand préjugé que celui qui fait redouter la concurrence ; c’est elle qui fait vivre le commerce au lieu de le tuer ; ce qu’elle tue, c’est le monopole, lui-même souvent son propre ennemi. La concurrence multiplie les moyens de transport, les met à la portée de tous, stimule l’envie de produire par la facilité de l’expédition, poursuit le producteur partout où elle peut l’atteindre, lui offre les moyens à son choix de vendre ou d’acheter, triple, décuple pour lui les occasions d’étendre ses affaires, apporte en toutes choses le mouvement et disperse la circulation qui est la vie. Deux marchands, deux industriel, deux hôteliers font plus dans un endroit qu’un seul ; ils répandent certains goûts qui deviennent des besoins, et ces besoins en créent d’autres à l’infini : on veut des méthodes nouvelles, des étoffes meilleures et à meilleur marché, on veut des plats différemment apprêtés ; de là la concurrence qui, sous une foule de formes, se prête aux goûts ou aux besoins des consommateurs, et en grossit incessamment le nombre.

S’il y a une ligne par eau, faites une ligne par terre, et vous êtes certain que la première augmentera ses profits. Cela est bien simple. Le surplus du commerce nouvellement créé ne peut pas tout s’écouler par la même voie, le choix du producteur varie, il prend le moyen de transport qui convient le mieux suivant les lieux et les circonstances, et il se trouve que l’ancienne ligne hérite d’une partie du commerce et du mouvement qui résultent de l’établissement de la nouvelle ligne. Tous les hommes qui ont la véritable intelligence des affaires et qui connaissent les lois de la production, sont d’accord là dessus ; la compagnie du Richelieu n’a donc rien à perdre, et même beaucoup à gagner par la construction du chemin de fer du nord.

Quant au Grand-Tronc, ah ! s’il est vrai que le Grand-Tronc mette des bâtons dans les roues, c’est autant en pure perte que c’est étroit et aveugle de sa part. Il ne peut pas empêcher jamais qu’il s’établisse une ligne sur la rive nord, pour une vaste région de pays en grande partie déjà ancienne, cultivée, importante, et qui est totalement privée des chemins de fer dont elle a un besoin absolu. Il ne peut pas faire en sorte que toutes les villes principales de la province étant du côté nord du fleuve, c’est précisément ce côté là qui n’ait pas ses moyens de communication, que la moitié du pays soit complètement négligée et abandonnée au profit de l’autre moitié, et que, des garanties plus que suffisantes étant offertes aux capitalistes, ceux-ci ne voient et n’entendent rien, et ne comprennent dans l’univers que les exposés du Grand-Tronc. Il ne peut se faire que le fleuve St. Laurent n’ait qu’une seule rive, et que du côté opposé, ce soit le néant au lieu d’être un pays extrêmement riche, mais qui, tant qu’il n’aura pas de chemin de fer, sera comme s’il était extrêmement pauvre.