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Page:Buies - Sur le parcours du chemin de fer du Lac St-Jean, première conférence, 1886.djvu/14

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démolir ce qui nous reste de langue nationale, sont des puristes, comparés à ces arpenteurs-là ! L’un d’eux vous racontera que le pilote de son canot, un indien qui s’appelle Karibabnifigounfaurich, a donné à tel endroit un fier coup d’aviron, un autre qu’il a remarqué sur sa route des sapins, des épinettes et des bouleaux ; le troisième, lui, se contente de vous raconter que le vent étant ouest, ou nord-ouest, ou quart de nord nord-ouest, il s’est promené autour de sa tente et a remarqué un amoncellement de cailloux étranges à la décharge d’un lac dans une rivière quelconque. Oh ! M. l’abbé Laflamme ! que n’étiez-vous là pour nous expliquer la présence de ces cailloux par le dépôt silencieux et discret qu’en aurait fait votre grand glacier d’il y a 25,000,000 d’années ! Mais à des arpenteurs provinciaux de 1828 c’eût été demander trop de science, et les rapports d’exploration de ce temps-là ne pouvaient guère être autre chose que des récits de piqueniques se prolongeant pendant plusieurs semaines, aux frais de cette éternelle vache à lait qu’on appelle le public.

Tout le nord entre St-Raymond et le Lac St-Jean était donc un pays inhabité, regardé comme inhabitable, réservé uniquement aux chasseurs du grand orignal, aux cornes longues comme des sapins, et au muffle succulent, dont on peut faire un potage bien autrement exquis que celui que l’on fabrique avec la tortue verte des mers du Sud ; aux chasseurs du noble caribou, ce roi de nos forêts, ce dandy des montagnes, svelte, élégant, gracieux, courant dans les clairières des bois, le long des lacs et des précipices, comme on danse un galop, avec des jambes