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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/111

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nement au titre de pair, quitté cette demeure respectable pour aller habiter un grand hôtel dans Hamilton Place. Ses simples dîners furent remplacés par de fastueux banquets. Par nature il n’avait pas de goût pour ces choses-là ; son esprit était trop nerveux, son caractère trop sec, pour qu’il prît plaisir à déployer du luxe ou de l’ostentation. Mais, en ce moment, comme de tout temps, il agissait d’après un système. Il vivait dans un pays gouverné par la plus puissante et la plus riche aristocratie du monde, imbue et saturée, à tous les degrés de son échelle, d’une ostentation qui y forme l’essence même de la société. Il sentit que se montrer inférieur en faste à ses rivaux, c’était leur donner sur lui un avantage que ne pourraient compenser ni la haute position de ses proches, ni une élévation incomparable de caractère ou de génie. Les yeux ouverts à toutes les conséquences qui pouvaient en résulter, il jouait un magnifique enjeu, et n’hésitait pas à risquer toute sa fortune particulière dans une loterie où il avait la chance de gagner le gros lot. Pour rendre justice à lord Vargrave, il faut dire qu’il n’avait jamais considéré l’argent que comme un moyen, non comme un but. Il était avide, il n’était pas avare. Si, pour des hommes beaucoup plus riches que lui, les honneurs politiques sont très-dispendieux, souvent même ruineux, on ne doit pas s’étonner que ses appointements, ajoutés à une fortune particulière aussi modeste, ne pussent suffire au train de vie qu’il menait. Son capital était grevé d’hypothèques, et ses dettes s’accumulaient de jour en jour. Et puis cet homme, si adroit dans l’administration des affaires publiques, n’avait pas du tout ce genre de talent que donne le sentiment de la justice, celui d’administrer avec habileté ses affaires personnelles. Toujours absorbé par ses intrigues et ses manœuvres, il était trop occupé à duper les autres sur une grande échelle, pour veiller à n’être pas dupé lui-même, dans une moindre mesure. Il n’examinait jamais ses factures avant le jour où il se voyait forcé de les payer ; et il ne calculait jamais le montant d’une dépense pour peu qu’il la jugeât nécessaire à ses vues. Néanmoins lord Vargrave comptait toujours sur son mariage avec l’opulente Éveline pour le tirer d’embarras ; et si quelquefois il lui venait un doute sur la réalisation de ce rêve, la vie politique ne lui en promettait pas moins de splendides appâts. Et même il prévoyait que, dans le cas où miss Cameron viendrait à lui manquer, il lui serait possible, avec