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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/113

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rendu simple et dépouillé d’ornements dans les journaux quotidiens. Jamais lord Vargrave ne proféra une de ces paroles généreuses qui se gravent profondément dans le cœur du peuple, qu’elles soient dites par un radical ou un tory, et qui rendent un éternel service à la cause qui s’en honore. Mais nul homme ne savait défendre un abus, quelque criant qu’il fût, avec plus de vigueur, ou lancer le défi avec un plus courageux mépris à toute réclamation populaire. À certaines époques, lorsque le principe contraire triomphe, un pareil chef de parti peut être utile ; mais à l’époque dont nous parlons c’était un auxiliaire plus qu’équivoque. La majorité des ministres, et à leur tête le premier ministre lui-même, homme dont les vues étaient sages et l’honneur inattaquable, avaient appris à considérer lord Vargrave avec des sentiments d’aversion et de défiance. Ils auraient volontiers cherché à s’en débarrasser ; mais ce n’était pas un homme que de petites mortifications pussent décider à se retirer de son plein gré, d’autre part cet orateur sarcastique et hardi n’était pas un personnage dont on osât dédaigner le ressentiment et l’opposition. D’ailleurs il s’était assuré l’appui d’un parti à lui, parti plus formidable que lui-même. Il était très-répandu dans la société ; il était le favori des femmes diplomates, dont les voix, à cette époque, étaient de puissants suffrages, et avec lesquelles l’aimable et gracieux ministre était uni d’une étroite alliance, par mille liens d’intrigue et de galanterie. Les salons faisaient pour lui tout ce qu’ils pouvaient faire. En outre son royal maître l’aimait personnellement, et la Cour lui donnait son approbation dorée, tandis que la portion plus pauvre, plus corrompue, plus entichée de préjugés du ministère, le regardait avec une admiration avouée.

À la Chambre des Communes aussi, et dans la bureaucratie il ne manquait pas d’appuis, car Lumley n’avait jamais contracté les habitudes de brusquerie et d’insolence fréquentes chez les hommes puissants qui désirent tenir à distance les solliciteurs. Il se montrait affable et conciliant vis-à-vis de tous, quel que fût leur rang. Son intelligence et son amour-propre le mettaient au-dessus des mesquines jalousies qu’éprouvent les hommes arrivés au pouvoir pour ceux qui sont en chemin d’y arriver. Un novice se distinguait-il le moins du monde au parlement, aussitôt lord Vargrave s’empressait de rechercher sa connaissance ; personne ne complimentait, n’encourageait, ne secondait les nouvelles