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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/13

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ses traits étaient charmants, quoique, par suite de leur air de douceur et de repos (accompagné d’une certaine mélancolie), les gens d’un goût superficiel ou peu délicat les eussent trouvés dénués d’expression. Car il y a dans l’aspect des personnes qui ont éprouvé des émotions profondes, un calme qui trompe les yeux du vulgaire : elles sont semblables à ces rivières souvent tranquilles et profondes à mesure qu’elles s’éloignent des sources qui les agitaient et les gonflaient au commencement de leur cours, et qui, bien qu’invisibles, n’en continuent pas moins à les alimenter.

La plus âgée des deux dames, en visite chez sa compagne, avait plus de soixante-dix ans. Ses cheveux gris étaient écartés de son front, et rassemblés sous un bonnet raide et simple à la mode des quakers ; ses vêtements d’étoffes riches, mais unies et d’une façon peu moderne, augmentaient l’aspect vénérable de cette femme, qui ne semblait pas avoir honte de son âge.

« Ma chère mistress Leslie, dit la dame de la maison, après un moment de suspension rêveuse dans la conversation qui durait depuis une heure, c’est très-vrai ; peut-être ai-je eu tort de venir ici ; j’aurais dû n’être pas si égoïste.

— Non, ma chère amie, répondit mistress Leslie avec douceur ; non, égoïste est un mot qui ne peut s’appliquer à vous ; vous avez agi comme vous deviez agir, d’après votre sentiment instinctif du bien, lorsque, à votre âge, avec votre fortune, votre rang et votre beauté, vous avez renoncé à tout ce qui eût charmé les autres, et vous vous êtes consacrée, dans la retraite, à une vie de charité tranquille et ignorée. Dans ce village, tout humble qu’il est, vous vous trouvez comme dans votre sphère, vous consolez les malheureux, vous soulagez les indigents, vous guérissez les malades ; et vous enseignez insensiblement à votre Éveline à imiter vos vertus modestes et chrétiennes. »

La bonne vieille dame parlait avec chaleur, et des larmes remplissaient ses yeux. Sa compagne lui prit la main.

« Vous ne sauriez me donner de vanité, dit-elle, avec un doux et triste sourire. Je me rappelle ce que j’étais, lorsque vous avez offert un asile à la pauvre voyageuse désolée et à son enfant privé de père. Moi, qui alors étais si dénuée de tout, il faudrait que je fusse bien ingrate et bien cruelle, pour me montrer insensible à la misère et aux douleurs des autres malheureux, quand ces malheureux surtout valent mieux que moi ! Mais vous avez raison ; Éveline maintenant