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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/166

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contre le souvenir aussi bien que contre l’appréhension du malheur ; mais, çà et là, des allusions vagues et mystérieuses semblaient dénoter quelque lutte récente, peut-être encore existante révélée, seulement au génie par le cœur. Dans ces méditations et ces confessions inachevées, imparfaites, on devinait les affections perdues, l’existence dévastée, les foyers déserts de l’homme solitaire. Pourtant Maltravers se montrait si calme, même aux yeux de son vieil ami, que Cleveland ne savait s’il devait croire à la vérité des sentiments décrits dans les vers. Ce cœur ardent et romanesque avait-il, une fois encore, été touché par un objet vivant ? S’il en était ainsi, où l’avait-il rencontré ? Les dates qui accompagnaient ces vers étaient toutes récentes. Mais quelle femme Maltravers avait-il pu voir ? Les pensées de Cleveland se tournèrent vers Caroline Merton, vers Éveline ; pourtant, lorsqu’il lui avait parlé de ces deux jeunes filles, rien dans la physionomie ou dans les manières de Maltravers n’avait trahi son émotion. Lui dont naguère le cœur se trahissait si facilement ! Cleveland ignorait combien l’orgueil, les années, et la douleur immobilisent les traits, et enseignent à réprimer tous les signes extérieurs de ce qui se passe au fond de l’âme. Pendant qu’il était ainsi absorbé, la porte du cabinet de travail s’ouvrit soudain, et le domestique annonça M. Merton.

« Mille pardons, dit le recteur avec courtoisie. Je crains que nous ne vous dérangions ; mais l’amiral Legard et lord Doltimore sont venus nous rendre visite ce matin, et ils avaient un si grand désir de voir Burleigh que j’ai pensé pouvoir prendre cette liberté. Nous sommes venus tout à fait en nombreuse société ; nous avons pris la place d’assaut. J’apprends que M. Maltravers est sorti ; mais peut-être nous permettrez-vous de visiter la maison. Mes confédérés sont déjà dans le vestibule à examiner les armures. »

Cleveland, toujours aimable et plein d’urbanité, fit une réponse honnête, et se rendit avec M. Merton dans la salle d’entrée, où se trouvaient réunis Caroline, ses petites sœurs, Éveline, lord Doltimore, l’amiral Legard et son neveu.

« Je suis très-flatté d’être en cette circonstance le représentant de mon hôte, et votre cicerone, dit Cleveland. Votre visite, lord Doltimore, est assurément une surprise fort agréable. Lord Vargrave nous a quittés, il y a une heure environ, pour aller vous faire visite chez l’amiral Legard ; nous achetons notre plaisir au prix de son désappointement.