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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/179

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Troisièmement, l’amiral pouvait se montrer inflexible, opiniâtre, emporté, brutal, quand il le voulait ; et lorsqu’il dit froidement à Georges : Écoutez-moi, jeune fat : si vous vous endettez encore, si vous excédez la fort jolie pension que je vous alloue ; je vous déshérite — Georges savait bien que son oncle était homme à lui tenir strictement parole.

Néanmoins c’était quelque chose que de se trouver libéré de ses dettes, et de rester un des plus beaux hommes de son temps. Georges Legard, à qui son grade dans les gardes permettait de prendre le titre de colonel dans la ligne, quitta l’Angleterre assez satisfait de l’état des choses.

En dépit des erreurs de sa jeunesse, Georges Legard avait de grandes et généreuses qualités. Le monde avait fait son possible pour gâter une nature noble et franche, un esprit bien au-dessus de la médiocrité, mais le monde n’avait réussi qu’imparfaitement. Malheureusement cependant Georges avait pris l’habitude de la dissipation ; et tous ses talents étaient de nature à avoir du succès en ce genre. À son âge, il était naturel que les louanges des salons eussent pour lui de la douceur.

En sus des qualités qui plaisent aux femmes, Legard jouait bien le whist ; il était de première force au billard ; il tirait le pistolet mieux que personne ; comme écuyer il n’avait pas de rivaux ; en somme, c’était un de ces hommes accomplis qui font tout bien. Des talents de ce genre ne lui servaient pas à grand’chose en Italie ; et, bien qu’il en éprouvât du regret et des remords, il se remit à jouer, parce qu’il n’avait véritablement pas autre chose à faire.

Il y eut une année où l’on forma à Venise une société dans le genre du salon de Paris. Quelques riches Vénitiens en faisaient partie ; mais la société était spécialement composée d’étrangers : Français, Anglais, et Autrichiens. On jouait dans l’une des salles, tandis qu’une autre servait de club. Bon nombre de personnes qui ne jouaient jamais faisaient partie de cette société ; mais pourtant ce n’étaient pas là les habitués.

Legard joua. Il gagna d’abord ; puis il perdit ; puis il gagna de nouveau ; c’était un plaisir plein d’émotions. Un soir, après avoir gagné une somme considérable à la roulette, il s’assit à une table d’écarté vis-à-vis d’un Français de haut rang. Legard était fort à l’écarté, comme à tous les jeux de calcul ; il crut qu’il lui serait facile de faire fortune aux dépens du Français. La partie qui se jouait excita bientôt le plus vif