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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/187

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— Maintenant ! et pourquoi donc ? dit Éveline avec étonnement.

— Le monde y croit si implicitement ; ne remarquez-vous pas que quiconque est assis auprès de vous se lève dès que lord Vargrave s’approche ? Dans tout le voisinage il n’est question que de votre mariage ; et si l’on en parle tant, ce n’est pas pour vous plaindre, Éveline.

— Je veux quitter ces lieux ! Je veux retourner chez ma mère ! Je ne puis endurer plus longtemps ce supplice ! s’écria Éveline, en se tordant les mains avec angoisse.

— Vous n’avez d’amour pour nul autre, j’en suis convaincue ; vous n’aimez ni le jeune M. Hare, avec son habit vert et ses favoris jaunes ; ni Sir Henri Foxglove, qui vous dit bonjour comme s’il sonnait un hallali ; peut-être serait-ce le colonel Legard ? il est beau. Quoi ! son nom vous fait rougir. Non, dites-vous ; — ce n’est pas Legard ; qui donc est-ce alors ?

— Vous êtes cruelle ; vous vous raillez de moi, » dit Éveline d’un accent douloureux et plein de reproche. Elle se leva pour regagner son appartement.

« Ma chère enfant ! dit Caroline émue par la douleur évidente d’Éveline ; apprenez de ma bouche (s’il m’est permis de parler ainsi) que les mariages ne se font pas au ciel. Le vôtre sera aussi heureux que peuvent l’être les unions de la terre. Les mariages d’amour sont généralement les moins heureux qu’il y ait. Notre sexe crédule demande trop à l’amour ; et l’amour après tout n’est pas le seul dieu de ce monde. La fortune et le rang règnent encore quand l’amour n’est plus qu’un monceau de cendres. Pour ma part, j’ai choisi ma destinée et mon mari.

— Votre mari !

— Oui ! Voyez-le en la personne de lord Doltimore. Nous serons, j’ose dire, aussi heureux que des amoureux : Corydon et Philis, si vous voulez. »

La voix de Caroline avait pris un accent ironique, et elle poussa un profond soupir. Éveline ne prit pas au sérieux ses paroles, et les deux amies se séparèrent pour la nuit.

« J’ai un étrange destin ! se dit Caroline ; l’homme que j’aime, et qui prétend m’aimer, me demande d’accorder ma main à un autre, et de plaider sa cause auprès d’une fiancée plus jeune et plus belle. Allons ! j’obéirai à sa première injonction ; la seconde est une tâche plus pénible, et je ne puis la remplir consciencieusement. Pourtant Vargrave à