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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/195

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CHAPITRE X

Obscuris vera involvens.
(Virgile).

Deux ou trois jours après la date du chapitre précédent, Éveline et Caroline en revenant d’une promenade à cheval, accompagnées de lord Vargrave et de M. Merton, traversèrent le village de Burleigh.

« Je suppose que Maltravers vise à se faire nommer représentant du comté, un de ces jours, dit lord Vargrave, qui s’imaginait de bonne foi qu’on devait toujours viser à servir son intérêt ou son ambition ; autrement pourquoi s’occuperait-il tant de maisons de refuge et d’asiles pour les pauvres ? Qui se serait jamais figuré que mon romanesque ami deviendrait un jour un simple gentilhomme campagnard ?

— C’est prodigieux ce qu’il met de talent et d’énergie dans tout ce qu’il entreprend ! dit le recteur. Je n’aurais jamais supposé qu’un homme de génie pût être un aussi excellent homme d’affaires.

— C’est flatteur pour votre humble serviteur à qui tout le monde accorde le talent des affaires, et refuse le génie. Mais votre observation fait voir à quel point le génie est un triste patrimoine, puisque vous vous imaginez avec tout le monde qu’il ne peut servir à quoi que ce soit. Si l’on qualifie quelqu’un du titre d’homme de génie, cela signifie qu’il faut le priver de tout ce qu’il y a de bon à prendre. Il n’est propre à rien qu’à mourir dans un grenier. Faire d’un homme de génie un fonctionnaire ! ou un évêque ! ou un grand chancelier ! Mais ce serait le monde renversé. Vous voyez : vous êtes vous-même tout stupéfait qu’un homme de génie puisse être même un simple magistrat de campagne, et sache reconnaître la différence qu’il y a entre une pelle et un fourgon. Bref, on se figure généralement qu’un homme de génie est le bipède le plus ignorant, le moins pratique, le plus bon-à-rien, le plus inutile de ce monde. Pour moi, lorsque j’ai commencé ma carrière, j’ai pris grand soin que personne