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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/220

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— Si ; c’est malheureusement très-sérieux !

— Impossible ! vous ne parleriez pas ainsi si vous l’aimiez.

— L’aimer ! non !… j’ai seulement l’intention de l’épouser. »

Éveline était révoltée, mais pourtant incrédule encore.

« Vous aussi, vous épouserez un homme que vous n’aimez pas ?… C’est notre destin !

— Jamais !

— Nous verrons. »

Éveline sentit son cœur se resserrer, et sa gaîté s’évanouit.

« Voyons, dites-moi, dit Caroline en appuyant sur la plaie, ne trouvez-vous pas que cette surexcitation, tout imparfaite, toute provinciale qu’elle soit, le sentiment de sa beauté, l’espérance des conquêtes, la conscience de son empire, ne trouvez-vous pas que tout cela soit préférable à l’ennuyeuse monotonie d’un cottage dans le Devonshire ? Soyez franche…

— Non, non, certes ! répondit Éveline avec entraînement et en pleurant ; tout cela ne vaut pas une heure auprès de ma mère, un sourire de ses lèvres !

— Alors, dans vos visions de mariage, vous ne rêvez que roses et tourterelles !… L’amour dans une chaumière !

— L’amour au foyer domestique, que ce soit dans un palais ou une chaumière, répondit Éveline.

— Le foyer domestique ! répéta Caroline avec amertume ; le foyer domestique ! c’est le synonyme anglais du mot français ennui. Mais j’entends papa sur l’escalier. »

Une salle de bal ! quel tableau de lieux communs ! Vulgarisé dans les romans ; insipide dans la vie ordinaire. Et pourtant chaque salle de bal a pour tous les caractères et tous les âges un cachet, un sentiment qui lui est propre. Il y a quelque chose dans les lumières, dans la foule, dans la musique, qui sert à raviver mille pensées du domaine de la fantaisie et du roman. Pour les hommes qui ont passé un certain âge, c’est un spectacle plein de mélancolie. Il ressuscite ces images légères et gracieuses qui se rattachent aux désirs errants de la jeunesse : fantômes qu’on a rencontrés sur son chemin, qu’on a pris pour l’amour, mais qui n’étaient pas lui ; qui avaient la grâce et le charme, mais non la passion, le tragique du véritable amour. Que de vagues souvenirs, des premiers et des plus doux, sont éveillés par ces parquets frottés de craie, par cette musique douloureusement joyeuse, par ces recoins silencieux et isolés