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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/226

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— Je vous ai cherchée partout, dit lord Doltimore d’un accent de tendre reproche ; venez, je crains que nous ne soyons en retard. »

Caroline prit le bras de lord Doltimore, qui l’entraîna précipitamment dans la salle de bal.

Miss Cameron resta un moment indécise, ne sachant si elle devait ou non les suivre, lorsque Maltravers vint s’asseoir à côté d’elle. Le cœur de la jeune fille s’émut sur-le-champ de la pâleur de son front et de l’expression de souffrance que trahissait la compression de ses lèvres. Dans sa tendresse enfantine, elle aurait donné tout au monde pour avoir ce privilège d’une sœur, le droit de consoler. Le salon était maintenant désert ; ils s’y trouvaient seuls.

Maltravers ne donnait qu’une seule interprétation aux paroles d’Éveline : « Lorsque je donnerai ma main, c’est que j’aurai aussi donné mon cœur. » Elle aimait son fiancé ! Et, tout singulier que cela puisse paraître, à cette pensée qui mettait le dernier sceau à sa destinée, il éprouva moins d’égoïste angoisse que de profonde compassion. Jeune comme elle l’était, adulée, exposée à la tentation comme elle le serait, et avec un pareil protecteur ! Vargrave, cet homme froid, sans sympathie, sans cœur ! Elle surtout, de qui les yeux et les lèvres révélaient les sentiments pleins d’ardeur ! Lorsqu’elle se réveillerait de son rêve, lorsqu’elle connaîtrait l’homme qu’elle avait aimé, quel serait son sort, quel serait peut-être son danger !

« Miss Cameron, dit Maltravers, laissez-moi vous retenir un moment ; je n’abuserai pas longtemps de vos instants. Me permettez-vous, une seule et dernière fois, de m’arroger les droits austères de l’amitié ? Je connais beaucoup la vie, miss Cameron, et cette expérience m’a coûté bien cher. Tout sévère, tout insociable que je sois devenu, je ne suis pas encore à l’abri des sentiments que vous êtes si bien faite pour inspirer… Rassurez-vous, ajouta-t-il en souriant tristement, je ne veux ni vous complimenter ni vous flatter. Je ne vous parle pas comme un jeune homme à une jeune fille ; la différence d’âge qui existe entre nous, et qui enlève à la flatterie toute sa douceur, laisse cependant à l’amitié toute sa sincérité. Vous m’avez inspiré un profond intérêt ; je ne croyais pas qu’il y eût de femme au monde qui pût encore m’en faire éprouver d’aussi profond ! Il est possible qu’un je ne sais quoi dans les intonations de votre voix, et dans vos manières une grâce indicible que je ne puis définir, me