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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/246

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CHAPITRE IX

C’est ainsi que l’aérien Strephon accordait sa lyre.
(Shenstone.)

Dans son entrevue avec Éveline, Vargrave déploya certainement au plus haut point toute son habileté et tous ses artifices. Il sentait que la violence, le sarcasme, les lamentations intéressées ne serviraient de rien de la part d’un homme qui n’était pas aimé, quoique, entre les mains d’un homme qui l’est, ce soient d’excellentes cartes. Comme son cœur était parfaitement intact, qu’il n’était ému que de rage et de désappointement, sentiment qui n’étaient jamais de bien longue durée chez lui, il pouvait jouer de sang-froid la partie qu’il était en train de perdre. Son intelligence prompte et fine lui disait que tout ce qu’il pouvait désormais ambitionner, c’était de laisser dans le cœur d’Éveline des sentiments de généreuse compassion et d’intérêt amical, de faire sur elle une impression favorable, dont il pourrait plus tard tirer parti ; de se réserver enfin quelque poste avantageux dans le pays qu’il devait avoir l’air d’évacuer avec toutes ses troupes. Dans son expérience des femmes, — et, soit comme acteur, soit comme spectateur, il en avait beaucoup, quoiqu’il ne l’eût pas puisée dans un cercle de dames bien délicates ou bien raffinées, — il avait vu qu’une femme s’éprend souvent d’un soupirant lorsqu’elle l’a éconduit ; et que précisément parce qu’elle l’a jadis refusé, elle finit par l’accepter quelquefois. Dans des circonstances aussi désespérées, il ne voulait pas négliger même cette éventualité. Il prit donc la physionomie, l’attitude, la voix qui convenaient à un désespoir navré, mais soumis. Il affecta une noblesse, une magnanimité dans sa douleur, qui toucha profondément Éveline, et la prit au dépourvu.

« Il me suffit, Éveline ! dit-il d’une voix altérée et triste ; il me suffit de savoir que vous me pouvez m’aimer, que je me réussirais pas à vous rendre heureuse. N’en dites pas davantage, Éveline, n’en dites pas davantage ! Permettez-