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Voltaire n’est plus en vogue en France, mais Rousseau y maintient encore son influence et y trouve encore des imitateurs. Des deux, Rousseau était le pire comme homme, et peut-être aussi le plus dangereux comme écrivain. Mais sa réputation est plus durable, et se grave plus profondément au cœur de son pays ; de plus le péril qu’on pouvait craindre de ses doctrines vacillantes et capricieuses est passé.

Voltaire subit le destin de tous les écrivains purement destructeurs ; leur utilité cesse avec les maux qu’ils ont signalés. Mais Rousseau cherchait à reconstruire aussi bien qu’à renverser ; et, quoiqu’il n’y ait rien de plus absurde que ses constructions, l’homme se plaît à regarder en arrière, et à voir même des images trompeuses, des châteaux dans les nuages, se dressant au-dessus des solitudes où s’élevaient naguère de grandes cités. Plutôt que d’abandonner un cimetière à la solitude, on le peuple de fantômes.

Par degrés cependant, à mesure qu’il saisissait davantage tous les traits de la littérature française, Maltravers se montrait plus tolérant pour ses défauts, et concevait plus d’espérances en son avenir. Il trouvait que sous un rapport cette littérature portait en elle-même sa rédemption finale.

Son caractère général, c’est que, contrairement à la vieille école classique française, elle prend le cœur pour étude ; elle met en action les passions et les sentiments, et elle donne aux événements de l’âme intérieure leur histoire et leurs annales, tout comme aux faits du dehors. Dans tout cela notre contemplateur commençait à reconnaître que les Français n’avaient pas tout à fait tort lorsqu’ils soutenaient que Shakespeare était la source où ils puisaient leurs inspirations, source trop négligée par la plupart de nos romanciers anglais modernes. Ce n’est pas par des histoires tissues d’incidents intéressants, entremêlées de descriptions de caractères qui ne retracent que des traits visibles et superficiels, ornées d’une phraséologie spirituelle, et animées d’une philosophie vulgaire, que la fiction atteint son but le plus élevé.

Dans la littérature française ainsi caractérisée, il y a beaucoup de fausse moralité, de sentiment dépravé et de doctrines creuses. Mais pourtant elle porte en elle les germes d’une excellence qui devra tôt ou tard parvenir en suivant la marche du génie national, à son entier développement.