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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/288

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espérances du fanatisme politique, ne sont pas plus heureux à mes yeux que les sauvages Indiens dont les membres vigoureux et la sérénité d’humeur se sont endurcis par l’habitude à ces privations, si dignes de compassion à vos yeux, et dont l’esprit n’est pas tourmenté d’aspirations vers un état meilleur qu’ils ne doivent jamais connaître. L’Arabe du désert a contemplé le luxe du pacha dans son harem ; mais il ne lui envie rien. Il se trouve content de son coursier, de sa tente, de ses sables arides, et de sa source d’eau vive et fraîche.

Ne nous dit-on pas tous les jours, nos prêtres ne nous le répètent-ils pas du haut de la chaire, que dans la chaumière on trouve autant de bonheur que dans le palais ? Pourtant en quoi la distinction qui existe entre le prince et le paysan, diffère-t-elle de celle qui existe entre le paysan et le sauvage ? Il y a plus de jouissances et de privations dans un cas que dans l’autre ; mais si dans le dernier les jouissances quoique moins nombreuses, sont mieux senties, si les privations, quoique en apparence plus rudes éprouvent des sens plus émoussés et des tempéraments plus robustes, votre mesure de proportion perd sa valeur. Bien plus, dans la civilisation il y a pour la multitude un mal qui n’existe pas dans l’état sauvage. Le pauvre voit tous les jours et à toute heure les grandes inégalités produites par la société civilisée ; en renversant la parabole divine, c’est Lazare qui de loin, et du fond de la fosse où il languit, regarde Dives au milieu des délices du Paradis. Ses privations, ses souffrances deviennent plus acerbes s’il les compare au luxe des autres. Il n’en est pas de même dans le désert et dans la savane. Le sauvage et son chef n’y sont séparés que par de faibles distinctions, adoucies encore par l’usage immémorial et héréditaire, qui leur donne toute la sainteté de la religion. Le fait est que, dans la civilisation, nous contemplons un splendide ensemble : la littérature et les sciences, l’opulence et le luxe, le commerce et la gloire ; mais nous ne voyons pas les innombrables victimes écrasées sous les roues de la machine : la santé immolée, les bouches sans pain, les prisons regorgeant de malfaiteurs, et les hospices de malades, la vie humaine empoisonnée dans toutes ses sources, et répandue comme de l’eau ! Nous oublions aussi les ravages, les crimes, le sang versé qui ont signalé chacun des pas que l’humanité a fait pour atteindre à ce moment aride. Prenez l’histoire de tous les états civilisés : l’Angleterre, la France,