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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/320

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commune à tous les intrigants : il avait dépassé son but. Au commencement de leur étrange intimité, Vargrave n’avait peut-être pas eu d’autre pensée que celle de piquer Éveline, de satisfaire sa propre vanité, d’amuser son ennui, et de céder à son humeur galante plutôt que de poursuivre, en homme du monde, un but plus sérieux. Mais petit à petit, et surtout à Knaresdean, Vargrave lui-même se trouva sérieusement engagé dans une intrigue, à laquelle il n’avait pas d’abord attribué d’autre importance que celle d’une distraction passagère. Au lieu de s’être assuré une amie pour l’aider dans ses desseins sur Éveline, il découvrit tout à coup qu’il s’était donné une maîtresse, qui voulait son amour, et qui était jalouse de son hommage. Grâce aux ressources de son esprit et à son aplomb habituel, il trouva le moyen de se libérer du même coup de toutes les conséquences funestes de son imprudence : de se débarrasser de Caroline comme maîtresse, et de la conserver comme instrument, en la mariant à lord Doltimore. En se servant de l’empire puissant qu’il avait pris sur Caroline, et de l’ambition intéressée de cette jeune fille, il réussit à la décider à sacrifier toute la poésie de l’amour à une union qui devait lui donner le rang et la fortune. Vargrave alors s’estima certain que cette femme habile, non-seulement mettrait à sa discrétion l’influence politique et la fortune de son faible époux, mais encore qu’elle seconderait les manœuvres qu’il tramait afin de former, de son côté, une union également avantageuse. C’est en cela que Vargrave se trompa, égaré par l’incapacité où il était de comprendre les délicatesses et les scrupules de l’amour et de la nature d’une femme, quelque criminel que soit cet amour et quelque ambitieuse que soit cette nature. Caroline avait pu se résigner à devenir la femme d’un autre, mais elle ne pouvait envisager sans angoisse un lien semblable pour son amant. Puis, comme elle possédait encore quelques-unes des bonnes qualités de son sexe, elle reculait d’effroi à la pensée d’être complice de manœuvres qui devaient jeter la jeune fille innocente et sans expérience, dont elle recevait le nom d’amie, dans les bras d’un homme qui avouait ouvertement ses motifs mercenaires, et qui prenait à témoin les dieux et les hommes que son cœur appartenait sans partage à une autre. La présence de Vargrave faisait taire ces scrupules ; mais aussitôt qu’il n’était plus là, ils lui revenaient dans toute leur force. Elle n’avait cédé que par crainte à son ordre d’emmener