— Certes, moi aussi, je voudrais bien que vous la fussiez, dit Éveline avec une grande naïveté ; vous conviendriez bien mieux à lord Vargrave que moi. »
Caroline se mit à rire.
« Qu’est-ce qui vous fait penser cela ?
— Sa manière de voir est semblable à la vôtre. Il ne dit jamais rien qui me soit sympathique.
— Un joli compliment que vous me faites là ! Soyez convaincue, ma chère, que nous sympathiserons fort bien quand vous connaîtrez le monde aussi bien que moi. Mais, pour en revenir à lord Vargrave, est-il trop vieux ?
— Non, je ne pensais pas à son âge ; et le fait est qu’il paraît plus jeune qu’il n’est.
— Est-il beau ?
— Oui, il est ce qu’on est convenu d’appeler beau ; vous le trouveriez bien, vous.
— Bon, s’il vient ici je ferai mon possible pour vous enlever son cœur ; ainsi, prenez garde à vous.
— Oh ! je vous en serais si reconnaissante ! Je l’aimerais tant, s’il voulait bien devenir amoureux de vous !
— Je crains bien qu’il n’y ait pas de danger que cela arrive.
— Mais comment se fait-il, dit en hésitant Éveline, après un moment de silence, comment se fait-il que vous ayez bien plus d’expérience du monde que moi ? Je croyais que M. Merton habitait presque toujours la campagne.
— Oui, mais mon oncle, sir John Merton, est représentant du comté ; et mon aïeule paternelle, qui habite le château de Tregony (que nous venons de quitter), se rend à Londres, dans la saison, presque tous les ans, et j’ai passé trois saisons avec elle. C’est une charmante vieille, tout à fait une grande dame. Malheureusement elle reste en Cornwall cette année, elle a été souffrante, et les médecins lui défendent Londres et les villes. Mais même à la campagne nous menons une vie très-gaie. Mon oncle demeure à peu de distance, et quoiqu’il soit veuf, il reçoit beaucoup lorsqu’il est à Merton Park. Papa aussi est riche ; il est très-hospitalier, très-aimé, et il sera évêque un de ces jours, j’espère ; ce n’est pas du tout comme un pasteur de village. De sorte que, je ne sais trop comment, j’ai appris à devenir ambitieuse. Nous sommes tous ambitieux dans la famille de papa. Mais, hélas ! je n’ai pas si beau jeu que vous. Vous êtes jeune et belle ; par-dessus le marché vous êtes une héritière ! Ah !