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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/346

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plus d’une aventure sanglante de violence et d’injustice, de passion sans frein, d’excès terribles, dont la folie était peut-être à la fois le résultat et le châtiment. Cet homme avait pris en amitié Cesarini qui, dans certains moments, l’évitait moins que d’autres, parce que tous deux se plaisaient également à déclamer contre les êtres vivants. Le fou s’approcha de Cesarini d’un air de dignité et de condescendance.

« Il fait bien froid ce soir, monsieur, dit-il, et il n’y aura pas de lune. Vous est-il jamais venu à l’esprit que l’hiver était la saison propice à une évasion ? »

Cesarini tressaillit ; l’ex-officier continua :

« Ah ! oui, je vois à votre air que vous aussi vous vous indignez de notre ignominieuse captivité. Je crois qu’il vaudrait mieux nous risquer à tout braver. Vous êtes sans doute emprisonné pour quelque crime d’État. Si vous voulez m’aider dans ma fuite, je vous accorderai votre grâce pleine et entière. Quant à moi, je n’ai qu’à paraître dans ma capitale ; le vieux Louis-le-Grand doit être proche de sa dernière heure.

— Faire de cet insensé mon compagnon préféré ! pensa Cesarini, révolté par le spectacle de l’infirmité qu’il partageait, comme Gulliver épouvanté à la vue du Yahou. N’importe ; il parle d’évasion.

— Et comment pensez-vous, dit l’Italien à haute voix, comment pensez-vous que nous puissions effectuer notre délivrance ?

— Chut ! parlez plus bas, dit le soldat. Dans le jardin intérieur j’ai observé qu’il y a depuis deux jours un jardinier occupé à clouer les branches des figuiers et des vignes contre les espaliers. Entre ce potager et le jardin où nous sommes il n’y a qu’une palissade que nous pourrons facilement escalader. Le jardinier travaille jusqu’à la nuit ; aussi tard que nous le pourrons, il nous faudrait franchir sans bruit cette palissade et ramper le long des couches de légumes jusqu’à ce que nous arrivions auprès de l’homme. Il se sert d’une échelle dans son travail. Le reste est clair ; il nous faudra le terrasser, le bâillonner, lui tordre le cou si c’est nécessaire ; ce ne sera pas le premier cou que j’aurai tordu, ajouta le fou avec un horrible sourire. Grâce à l’échelle nous escaladerons le mur ; et la nuit vient de bonne heure dans cette saison. »

Césarini l’écoutait ; son cœur battait violemment.

« Serait-il trop tard pour tenter la chose ce soir ? dit-il à voix basse.