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Page:Bulwer-Lytton - Alice ou les mystères.pdf/348

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CHAPITRE V

Les espérances et les craintes se dressent avec effroi et se penchent par-dessus l’étroit parapet de la vie pour regarder au-dessous ; quoi donc ? un abîme sans fond !
(Young.)

Minuit, et une gelée atroce. Les voilà, ces deux fugitifs, sans toit et sans pain, dans le cœur même de la belle forêt qu’ont souvent fait retentir les fanfares d’une chasse royale. Le soldat, qui dans sa jeunesse avait été accoutumé aux privations et aux violences que l’esprit sait faire à la nature, avait allumé du feu, en frottant ensemble deux morceaux de bois sec. Ce bois était difficile à trouver, car la neige blanchissait la surface de la terre, et remplissait tous les creux ; puis, quand on l’eut trouvé, le combustible fut lent à prendre. Cependant le feu projeta enfin sa lueur rouge. Les deux proscrits de la raison humaine s’étaient assis sur un petit tertre entouré d’un demi-cercle d’arbres gigantesques. Ils se penchaient l’un vis à vis de l’autre au-dessus de la flamme, dont la lueur rougissait leurs traits. Chacun d’eux, au fond de son cœur, brûlait de se débarrasser de son compagnon insensé ; chacun d’eux sentait l’horreur de la solitude, la crainte de dormir auprès d’un camarade dont l’âme avait perdu la lumière de Dieu.

« Ho ! ho ! dit le guerrier, en rompant un silence qui durait depuis fort longtemps ; il fait bien froid ici, et la faim me talonne ; je regrette presque la prison.

— Je ne sens pas le froid, dit Cesarini, et je me soucie peu de la faim ; je n’éprouve que le sentiment de la liberté.

— Tâchez donc de dormir, dit le soldat avec une voix d’une douceur à la fois mielleuse et sinistre ; nous veillerons chacun à notre tour.

— Je ne puis dormir ; commencez, vous.

— Faites attention, monsieur, dit le soldat d’un ton farouche, que je ne veux pas qu’on discute mes ordres. Maintenant que nous sommes libres, nous ne sommes plus